L’endroit n’est pas si éloigné de
Damas (50km), et pourtant si différent. Quand on y va, on y découvre la plaine,
verte et irriguée par moult courts d’eau, dominée par les montagnes encore bien
enneigées. Pourtant, même si la nature environnante est absolument charmante et
change des rigueurs du désert qui se referme sur Damas, une autre idée vous
turlupine en allant sur le plateau du Golan.
Ah ! Le Golan ! On en
parle souvent, sans souvent bien se rendre compte à quel point ces quelques
milliers de kilomètres carrés sont déterminants. A l’origine, le plateau du
Golan est un plateau montagneux, un temps peuplé de circassiens (qui eurent un
temps des velléités séparatistes), puis de druzes et d’arabes, qui fut pastoral
pour devenir peu à peu le point stratégique qu’il est aujourd’hui.
Stratégique parce qu’il est tout
simplement à la frontière du Liban, de la Syrie, de la Jordanie et d’Israël.
Lors de l’indépendance syrienne, le Golan était entièrement sous domination
syrienne, au grand damne des israéliens puisque celui-ci donne un panoramique
imprenable sur le Sud-Liban et la Galilée, une des régions les plus peuplées en
Israël. Aussi, jusqu’en 1967, il n’était pas rare que les syriens fassent de
jolis cadeaux à leurs chers voisins, autrement dit bombardaient joyeusement ce
qu’ils pouvaient. La carte ci-dessus vous donne une idée de l’emplacement
géographique et des délimitations actuelles.
Cette situation a duré jusqu’en
1967, pendant la guerre des Six Jours, où les israéliens envahissent le Golan
en seulement deux jours, entraînant un exode massif de ses habitants. Depuis,
seuls les druzes ont été autorisés à rester sur le Golan sous occupation
(fallait bien dégager la piste pour les colons…). Des affrontements y ont
régulièrement eu lieu jusqu’en 1974, date à laquelle, Quneitra, capitale du
gouvernorat éponyme, est libérée et où un accord de dégagement est conclu, avec
l’ONU censée faire respecter l’accord dans une zone dite de dégagement, c'est-à-dire
une zone tampon complètement démilitarisée. La carte ci-dessus vous donne une idée de l’emplacement géographique et des délimitations actuelles.
Quneitra est la grosse tâche gris dans la zone verte. On se rend mieux compte des enjeux géographiques avec la carte. |
Depuis, le Golan est devenu LA
condition pour un accord de paix syro-israélien. Il faut y inclure des
raisons de psychologie politique : le père du Président actuel était, en
1967, responsable militaire de la zone. Il est donc inimaginable que le
gouvernement renonce à cette ère géographique. De plus, celui qui contrôle le
Golan contrôle certes la Galilée, mais contrôle également la route de Damas,
dont les faubourgs sont à à peine 35km. On peut y ajouter le fait que le
plateau est un véritable château d’eau pour la région puisque c’est l’endroit
le plus pluvieux, et qu’il donne directement sur les eaux du Lac de Tibériade.
Depuis, les négociations sur le
problème n’ont jamais abouties. L’argument principal côté ouest est de dire qu’il
ne faut pas donner à l’est l’avantage sur la Galilée, craignant des attaques.
Personnellement je n’ai jamais compris cet argument : en effet, si l’on
restitue le Golan à la Syrie, ça veut dire qu’un accord de paix aura été
préalablement signé. Or, on tente rarement d’envahir un pays lorsqu’on a décidé
de signer la paix. Je prends le risque de paraître un peu trop simple d’esprit
mais bon.
Un papier administratif qui a le mérite de ne pas avoir donné trop de mal à son détenteur se doit d'être photographié |
En fait, c’est surtout la
question d’eau qui est importante. La partie réclamée donne sur Tibériade, dont
le lac constitue environ 35% des ressources hydrauliques israéliennes. Certains
négociateurs ont même brandi la menace que les méchants syriens pourraient
avoir l’idée d’empoisonner les eaux du lac histoire de tuer plein de gentils
israéliens. D’où une proposition qui avait un jour émergé, à savoir la solution
« Golan moins dix mètres ». Ca consistait en fait à restituer l’intégralité
du Golan, sauf les dix mètres de bande terrestre le séparant du Lac de
Tibériade (les négociateurs israéliens n’ont manifestement pas peur de prendre
leurs interlocuteurs pour des pigeons).
Bref, ne pouvant de toutes
manières pas aller dans la partie occupée, il est néanmoins permis aux
étrangers que nous sommes de visiter Quneitra, une ville assez importante avant
67. Il faut au préalable obtenir une autorisation, ce qui semble certes
impressionnant mais qui est en fait assez facile, puisque les autorités veulent
que les étrangers voient la ville.
L'église grecque-orthodoxe |
Pourquoi ? Parce que la
ville a été sous contrôle israélien de 1967 à 1974. Je crois d’ailleurs que la
perte de Quneitra en 67 est une des histoires de perte de ville la plus bête qui
soit. En fait, l’armée syrienne protégeait le nord de la ville pour sauver la
route de Damas. Ceci avec le concours de la radio qui par erreur avait annoncé
que la ville était tombée. Du coup, l’armée, malgré la contre information
diffusée deux heures trop tard, a battu en retraite vers Damas, laissant le
champ libre aux israéliens.
Israéliens qui sont restés jusqu’en
1974. Des témoins ont rapporté en 1967 que la ville, malgré la guerre qui y
avait eu lieu, tenait encore debout. Pourtant, lorsque la ville a été incluse
en 1974 dans la zone de dégagement, les syriens l’ont retrouvée totalement
détruite. En fait, ce sont les israéliens qui ont systématiquement dynamité les
habitations avant de libérer les lieux (ils ont ensuite accusé les syriens de l’avoir
fait, puis quelques années plus tard, leur ont reproché de ne rien avoir
reconstruit, bref mauvaise foie quand tu nous tiens…)
Maison éventrée |
Et de fait, en entrant dans la
ville sous bonne garde (un agent du personnel syrien s’y rend avec vous pour
éviter certains champs de mines et surtout de traverser une certaine frontière)
c’est effectivement ce constat de dynamitage qui saute aux yeux, puisque la plupart
des habitations semblent affaissées sur elles-mêmes, avec leurs toits en guise
de couvercle.
L'intérieur de l'hôpital |
En réalité, la visite est vite
faite, puisque de toutes manières la ville fantôme laissée par Israël en 1974 n’a
jamais été reconstruite, car les autorités syriennes ont choisi de conserver
ainsi en guise de témoignage de la guerre. La visite commence par l’hôpital,
dont la carcasse tient encore debout, on peut même pénétrer à l’intérieur. En
revanche, le tout est jonché de gravats, les murs criblés de balles, parfois
même déchirés par un impact d’obus.
On continue ensuite vers l’église
grecque orthodoxe, qui comparée au standing local, paraît plutôt en bon état.
La coupole tient toujours debout, et l’on voit distinctement les restes de l’iconostase,
avec les emplacements de ce qui devait être les boiseries et icônes en tout
genre.
Le choeur |
Passée cette étape, on finit par
longer en voiture un long chemin bordé de barbelées, pour arriver à check point
aux drapeaux syriens, sagement gardé par l’ONU. De là, on est à la lisière
ouest de la ville, totalement dominée par le plateau occupée. On aperçoit même
sur le versant des habitations et des voitures « ennemies » circuler.
Je ne sais pas si ce sont des possessions de l’ONU. Mais le plus impressionnant,
c’est qu’à quelque pas de cet ultime check point, se trouve le check-point
tampon de l’ONU et 50 mètres plus loin le poste de frontière … israélien. On y
aperçoit nettement les drapeaux blancs et bleus flotter, et on s’approche
tellement du pays que même les portables passent en réseau israélien (j’ai photographié
le SMS de bienvenue car c’est vraiment trop collector).
Frontière vue du poste syrien |
Oh! bizarres les drapeaux... |
J’ai été accompagnée jusqu’à
cette étape par un membre supplémentaire des autorités syriennes, histoire qu’ils
vérifient que NON ! je ne traverserai pas. Bon en même temps j’aurais eu
du mal, puisqu’ils avaient gardé mon passeport à l’entrée de la ville.
Rassurez-vous, ils font ça avec tout le monde pour éviter justement que
certains aient l’idée saugrenue de passer la frontière.
Puis direction… le musée de
Quneitra. Oui oui, il y a même un musée. Je m’attendais plutôt à un musée
relatant de l’histoire récente, mais c’est parce que l’on oublie que l’histoire
de Quneitra ne se limite pas à 1967. En fait, des vestiges romains ont été
retrouvés dans le coin, puisque de toutes manières, la route de Damas n’a pas
changé d’emplacement. Certains situent même la conversion de Saint Paul dans
les alentours de Quneitra, ce qui collerait plutôt bien vu la distance avec
Damas.
La rue principale vue de la mosquée |
En fait le musée est constitué d’une
seule et même pièce, avec des vitrines à peine rangées et même pas traduites,
qu’un druze (on reconnaît les druzes à la forme spécifique de leurs pantalons
qui sont très bouffants) vous allume rien que pour vous. Puis, petit aperçu de
la mosquée et de la rue principale, et retour à Damas.
Il est très étrange de faire une
telle visite. La visite en elle-même n’a pas grand intérêt, car elle se résume
à trois quart d’heures de voiture à aller regarder des immeubles en béton
totalement écroulés. Elle est bien plus que de simples immeubles détruits. Il
est en effet impressionnant de se retrouver dans un lieu aussi chargé d’Histoire,
mais également de se trouver au centre de tous ce genre de tensions, aux
limites de deux Etats ennemis qui s’obsèdent l’un l’autre, l’observent, s’espionnent
mais s’ignorent royalement. Impressionnant de se retrouver si près d’un poste
de frontière d’un pays qui, vu de Damas, semble tout simplement inatteignable,
impressionnant de se retrouver dans une ville fantôme, faussement oubliée.
Vue de la mosquée |