Après avoir
décrit la vieille ville (j’espère à propos ne pas m’être perdue dans les
détails ou dans une description un peu trop lyrique), attaquons nous à la ville
moderne. Et oui, si les touristes connaissent surtout la vieille ville, cette
dernière ne doit constituer qu’à peu près 3% de la totalité de la ville.
Au premier
abord, avant d’arriver à Damas, en touriste averti, vous vous pencherez
forcément sur un guide qui vous dira en présentation que Damas était décrite
par les poètes arabes anciens comme un « grain de beauté sur la joue du
monde »… Bon, le grain de beauté a dû dégénérer en mélanome… En effet,
il y a encore 50 ans, la ville se limitait à la vieille ville et à quelques
quartiers voisins commencés par les turcs et continués par les français. On
pouvait encore nettement distinguer la Ghouta, cette oasis qui enserrait
Damas et qui en avait fait la renommée par sa production de fruits confits, et
qui avait surtout ébloui les arabes lorsqu’ils sont arrivés, eux qui
globalement n’étaient pas spécialement habitués à la verdure dans les déserts
de la Péninsule arabique.
Seulement
depuis, l’effet combiné de la pression démographique (la population syrienne a
en effet quadruplé, si ce n’est quintuplé depuis 100 ans) et de l’exode rural a
pas mal changé l’aspect général de la ville, et pas pour le meilleur. En effet,
depuis 40 ans, des milliers d’immeubles de béton ont poussé, qui n’ont jamais
été entretenus (et les infrastructures liées aussi, à savoir réseau d’eau,
d’électricité, égouts, et j’en passe) et qui ont été ingénieusement crépis dans
les tons marrons foncés, gris foncés ou rouge Bordeaux, histoire de ne surtout
pas leur donner un air de barre
d’immeubles communistes à la joyeuse et fructueuse époque des démocraties
populaires. C’est vraiment dommage car un petit effort et ça pourrait avoir un
tout autre aspect : par exemple à Aman, les immeubles ont globalement la
même architecture, mais crépis en jaune clair, dans une ville vallonnée et
arborisée, et ça donne quand même une atmosphère totalement différente.
Mais disons
que la partie moderne de Damas est à l’image de ses quartiers anciens : il
ne faut jamais, grand Dieu, jamais se fier à la première apparence. Déjà, cette
ville grouille de vie. Les gens ne tiennent jamais en place, et se mélangent à
un mouvement permanent de flux de voitures, de bruits de klaxon, des vendeurs
ambulants, de taxis voulant arnaquer leur passager (une bonne tête d’occidental
n’est pas absolument nécessaire mais y contribue fortement).
Parlons des
taxis d’ailleurs, le grand traumatisme de tout étranger fraichement arrivé. La
première fois que j’ai pris un taxi, je voulais aller à l’ambassade de France.
Arrivée à destination, je lis 65 livres sur le compteur (si si, il y a un
compteur !) et donne naïvement 90 livres, me sentant des impulsions
généreuses en offrant gracieusement 25 livres de pourboire (ils n’hésitent
d’ailleurs que rarement à vous demander le bakhshish). Le taximan s’est
mis à hurler, à taper sur le volant, en vociférant des phrases que je ne
comprenais pas alors. Il voulait… 200 livres. Sauf que 200 livres ici, c’est
largement assez pour se rendre en banlieue, largement assez pour acheter un
litre de bière, acheter 5 Kebab ou un billet de bus jusqu’à Palmyre. Mais
maintenant, pratique de la langue et vie quotidienne avec des syriens oblige,
se disputer avec des taxis devient presque un jeu. Lorsqu’ils veulent vous
arnaquer, ils indiquent souvent deux fois le prix que le compteur indique et
c’est là que les choses sérieuses commencent. La cliente offusquée que je suis
se met à hausser un peu le ton, le contenu de la discussion n'étant qu'une part d'une espèce de jeu, où chacun sait l'intérêt qu'il a à défendre et devine vers où s'oriente la fin des négociations.
L'arabe est en effet une langue vraiment riche et emprunte d'une grande théâtralité. On s'en rend compte particulièrement lorsque, au contact des syriens, on nous apprend des effets de langue, comme les insultes. Ils n’ont pas (du moins en Syrie mais je
sais que c’est différent au Liban) d’insultes vraiment vulgaires comme on a en
français. La première que tout étranger apprend est : Anta Kelb Ibn Kelb,
soit littéralement tu es chien fils de chien. Ensuite on peut se diversifier et
là ça devient vraiment amusant. Là où un français dirait un vulgaire « va
crever », les syriens diront « Que Allah découpe ton
âge ». Pour envoyer quelqu’un au diable, vous ne lui direz pas « va
au diable » mais un magnifique « Que Allah te précipite dans
les feux de l’Enfer ». Enfin bref, je ne connais certainement pas les
plus drôles, mais on dirait étrangement qu’ils aiment bien mêler Allah à toutes
leurs disputes. En fait, on ne s’énerve vraiment que rarement, les envolées
lyriques n’étant qu’une part de la théâtralité de rigueur lorsque l’on parle
arabe. Car si cette langue a mauvaise réputation en Europe à cause de ses sons gutturaux,
c’est en la pratiquant qu’on prend conscience de toute sa logique, de toute sa
profondeur et de l’art de vivre qu’elle présuppose.
Si l’on veut
s’éviter les désagréments des disputes avec les taximans (et ne pas payer trop
cher, tout de même, 2€ pour traverser la ville en taxi, c’est franchement trop
cher !) on peut toujours prendre un service, ces petits minibus, de grands
bijoux de technologie souvent estampillés Hyundaï ou Toyota et où, selon la
motivation du conducteur, on peut s’entasser selon un nombre variant de 11 à
16-18 (seulement dans les heures de pointe). Ils ont l’avantage d’être rapides
et bon marché (de 5 à 10 livres la course), mais embarquer dans l’un d’eux
signifie qu’on en maîtrise parfaitement l’itinéraire, sachant que certains
aiment bien changer parfois, ou même, prendre des contresens pour raccourcir le
trajet.
Sinon pour
circuler on peut toujours prendre un bus. Les bus sont surprenants à plusieurs
égards. Les gens payent leur trajet (toujours surprenant
lorsqu’on voit en France les gens jouer à saute mouton sur les tourniquets du
métro ou les contrôleurs faire grève parce que l’un de leurs confrères s’est
fait tabasser), ils sont rarement bondés, rapport au fait qu’il y a beaucoup
(ça change des horaires de bus à Montpellier ou avec un peu de chance, y’a un
bus tous les trois quart d’heure les jours où il n’y a pas de grèves) et les
hommes laissent leur place assise aux femmes. En effet, dans une société où
l’on a souvent tendance à séparer les sexes, il n’est pas bon qu’une femme soit
debout en presque corps à corps avec d’autres hommes qu’elle ne connait pas.
Dans les parties debout, j’ai remarqué que les femmes étaient souvent
regroupées, même si souvent les hommes leur cèdent la place. Mais attention
avec la pratique, on reste rarement plus de deux minutes debout. C’est pareil
dans les files d’attente, les femmes peuvent doubler tranquillement les hommes,
personne ne leur dira rien. On peut donc souvent se faire ennuyer par des
hommes un peu frustrés de la vie, il reste toujours qu’en tant que femme on
attend rarement et qu’on voyage tout le temps assise.
Outre ces
détails bassement matérialistes, Damas est étonnamment une ville de culture à
l’image de la Syrie toute entière. La Syrie est un pays où les anciennes
coutumes et traditions sont restées très marquées, mais la production
culturelle est assez impressionnante, et même si les centres culturels
étrangers ont leur part dans l’activité de la ville, les productions et
événements syriens y ont une part non négligeable. En effet, tant que l’on
n’aborde pas les sujets qui fâchent, les syriens sont très expansifs, bavards
et créatifs.
Ainsi, la production d’œuvre d’art est assez
significative et d’ailleurs assez belle, la plupart des toiles restant asses
figuratives et restant dans les tons locaux, à savoir de belles couleurs
chaudes que nous envient les non-méditerranéens. La télé regorge de musalsal
(séries télévisées) en dialecte, d’émissions culturelles et religieuses (j’ai
eu un bel éclat de rire un jour en regardant la bande annonce d’une émission
musulmane où la musique de fond n’était autre que l’Ave Verum de Mozart).
L’opéra de Damas est très actif, donne dans l’oriental et le classique avec des
prix défiant toute concurrence. J’ai trépigné au mois de décembre de ne pas
avoir pu aller voir à l’opéra « Les noces de Figaro », toutes
les places ayant été réservées. En même temps, à 1€50 le tarif étudiant, les
gens auraient tord de se priver. De plus, la qualité des musiciens est assez
bonne et la salle de concert est confortable et a une belle acoustique. Damas,
c’est également un nombre impressionnant de festivals et d’expositions en tout
genre, avec également beaucoup de conférences, la plupart du temps données en
fusha (l’arabe littéral) souvent piraté par le dialecte. On peut également
prendre des cours de calligraphie arabe, de danse orientale ou de langues pour
trois rien, si tant est que l’on maîtrise un peu la langue.
Question vie
nocturne, on ne s’y ennuie pas non plus. Ayant en horreur les boîtes de nuit,
je ne me plains donc pas de leur nombre quasi proche de 0 ici, et la quantité
impressionnante de bars cheap est un bon remède à ce
« problème ». Halte aux préjugés, on y trouve de l’alcool, surtout
dans les quartiers chrétiens où cela ne pose pas de problèmes. On pourra alors
déguster de l’Arak, une espèce de pastis mais à la réglisse (ceux qui
connaissent mon amour indéfectible du pastis sauront que je n’en bois pas
conséquent pas beaucoup), les vins du Liban, syriens pour les plus courageux,
ainsi que les bières locales, à savoir Al-Maza (libanaise) et la meilleure,
Barada. La Barada c’est tout un concept : une bière qui ne fait pas de
mousse, aussi alcoolisée qu’un cidre ayant tourné au soleil et dont l’étiquette
se décolle de la bouteille avec la buée, rapport au fait que la colle doit pas
être vraiment efficace.
On pourra
aussi certaines soirées monter sur le Mont Quassioun, la montagne qui domine
Damas, et dîner sur les restaurants qui bordent la route de la colline. A
fréquenter de préférence en journée, les taxis y devenant chers le soir.
En bref, Damas
est une ville qui s’apprécie sur le long terme. S’y débrouiller signifie de
manière générale d’aller vers les gens, ne pas hésiter à pousser les portes et
tenter des événements. On n’est jamais déçu. Pour se plaire à Damas, il faut en
parler la langue et oublier nos codes et comportements que nous avons avant de
partir. Le jeu en vaut la chandelle car l’expérience y est fantastique !
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