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Le Palais Azem, havre de paix au beau milieu du Souq |
A peine rentré
de Jordanie, voilà que des amis de Sciences Po en troisième année à Beyrouth
faisaient un petit tour en Syrie. Sitôt arrivés à Damas, je les rejoins pour
leur servir de guide. Au programme : grande mosquée des Omeyyades, flâner
dans les souqs, se repaître de mets orientaux dans les incomparables
restaurants damascènes, visite du palais Azem. Au passage, voici quelques
photos du Palais Azem. Je n’en avais jamais publiée pour la simple et bonne
raison que lors de ma première visite, mon appareil photo n’avait plus de
batterie. Le palais Azem est le plus grand des palais damascènes. Il était la
résidence des gouverneurs Azem de Damas à l’époque de l’empire ottoman, au
XVIII° siècle. C’est un véritable écrin de paix au beau milieu du fracas des
souqs, avec en son cœur une belle cour et un jardin absolument paradisiaque. Il
est intéressant puisqu’il répond aux codes alors en vigueur à l’époque, à
savoir séparer lieux privés et lieux publics, et montre cette séparation de
manière bien nette.
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Evasion dans le Souq des épices |
N’ayant pas
grand-chose à faire de plus à Damas, je m’en suis allée à Beyrouth en même
temps que mes amis qui rentraient chez eux. Direction Beyrouth, dans le
quartier de Furn el-Chebbak, chez Mélissa, une amie de Sciences Po qui était
dans la même classe que moi en 1ère année, et Margaux, une étudiante
du Master Journalisme de Sciences Po en année de césure. Seulement 1h30
d’attente à la frontière, ce qui est plutôt pas mal dans la mesure où nous
avions pris un bus plein, avant de plonger dans la vallée de la Bekaa que j’ai
déjà évoquée ici.
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Vue sur le site archéologique |
Le lendemain,
cap sur Byblos. Ah, Byblos ! Pour ceux qui auraient au fond d’eux une
passion secrète pour l’égyptologie, Byblos est le lieu où la légende dit que la
déesse Isis alla chercher les restes d’Osiris, lâchement assassiné puis découpé
en morceaux (charmante époque…) par son frère, le très jaloux Seth pour ne pas
le nommer. De fait, beaucoup de restes égyptiens ont été retrouvés à Byblos,
mais ils ne sont pas les plus anciens puisque les plus anciennes traces d’habitat
datent du cinquième millénaire avant JC. Comme souvent dans les sites
archéologiques levantins, les civilisations se sont succédées :
phéniciens, égyptiens, amorites, hyksos, grecs, assyriens, babyloniens,
romains, byzantins, arabes, croisés, turcs… En se baladant sur le site on peut
voir les restes antiques : temples divers et variés, nécropole, théâtre
romain avec vue sur la mer, restes de maisons, mais surtout le château croisé
construit par les francs durant les croisades, qui donne un bel aperçu sur le
site, la mer et les environs, malheureusement aujourd’hui envahies par
l’urbanisation libanaise galopante (vive la loi littorale !!).
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L'Eglise Saint Jean-Baptiste à Byblos |
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La citadelle croisée |
Byblos possède
également une vieille ville médiévale qui a vraiment été très bien restaurée.
Certains aiment bien toiser Byblos en disant que c’est une ville trop
touristique et refaite à la manière Disney Land, mais disons-le, ça fait quand
même du bien de voir enfin dans la région une ville ancienne bien refaite,
propre et sans rien qui dépasse. Ce qui est agréable aussi (mais qui doit moins
l’être durant l’été vues les chaleurs qu’il y fait) c’est cette proximité avec
la mer. Le site prend alors une toute autre dimension et l’on peut se laisser
aller à admirer la vue pour un temps indéfini, le regard perdu sur cette mer
dont la ligne d’horizon se perd dans l’azur du ciel. Byblos, c’est aussi un
petit port de pêche, hanté dans ses heures de gloire par un certain Pépé le
Pirate qui y a ouvert un club connu au Liban, mais aussi orné d’une espèce de
redoute à l’entrée.
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Sur la citadelle de Byblos |
Puis retour à
Beyrouth. Le chauffeur, trop content de voir une touriste qui baragouine sa
langue m’offre le voyage, puis je m’en retourne retrouver mes amis pour une
soirée passée sur un « top roof » donnant une très belle vue
sur tout Beyrouth. Les «top roof », parlons en. Au Moyen-Orient,
ils sont assez populaires, car dans ces immeubles récents qui ne sont pas
conçus pour les grosses chaleurs qu’il y fait, et peu équipés de climatiseurs
puisque cela coûte cher, le top roof est seul endroit où le soir, on peut
vaguement profiter de l’air frais de la nuit, vraiment reposant après avoir
passé la journée entière à ne penser qu’à une seule chose, la chaleur. C’est
vraiment très agréable comme point de vue, aussi avons-nous passé la soirée à
refaire le monde (pas des sciences-pistes pour rien !), à comparer nos
deux pays d’accueil, mes amis me faisant part de certaines de leurs craintes
quant à la situation au Liban qui peut dégénérer à tout moment.
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La citadelle de Tripoli en plein chantier |
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Chaleureux comité d'accueil à la citadelle... |
Le lendemain,
direction Tripoli ! Après deux heures de trajets en bus où un officier de
l’armée libanaise m’a tenu le crachoir, trop content de parler français avec
une française après avoir fait un séjour à Rochefort pendant la guerre civile,
me voilà arrivée à Tripoli. Rien qu’à l’évocation de ce nom, je vois déjà l’air
rêveur de ceux de mes lecteurs à la sensibilité orientaliste. Là aussi, Tripoli
a vu se succéder les civilisations, des Phéniciens aux croisés en passant bien
sûrs par les romains et les grecs. Sitôt arrivée, me voilà lancé à l’assaut de
la citadelle, dont les travaux commencés par Raymond de Saint-Gilles au début
du XII° siècle furent achevés au XIV° par un émir arabe. La citadelle ressemble
vraiment à un champ de bataille. Il ne faut pas y voir là un mauvais jeu de
mots en rapport avec le fait que l’armée libanaise y a élu domicile (on
appréciera d’ailleurs le charme de l’accueil chaleureux réservé par les tanks
et autres camions peints façon camouflage à l’entrée), mais surtout le fait que
la citadelle est encore en cours de restauration. De là, une belle vue sur la
ville, assez vallonnée et un petit aperçu sur la mer, juste ce qu’il faut pour
encore sentir son bon air iodé.
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Cour intérieure du Khan as-Saboun |
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Etagères pleines de savon |
Puis,
redescente dans la vieille ville, où l’apparent désordre des souqs révèle en
réalité une hiérarchie bien précise : en effet, chaque partie du souq est
spécialisée, dans les tissus, l’orfèvrerie et autres produits rappelant l’époque
révolue des grandes caravanes parcourant autrefois la route de la soie. Là,
petit passage au Khan As-Saboun (le caravansérail du savon). Ineptie
tripolitaine ? Que nenni ! En effet, une vieille querelle existe
entre Alep et Tripoli pour savoir quelle ville aura la paternité du fameux
savon. Outre ce malentendu, le khan as-saboun, malgré un état de conservation
qui pourrait être amélioré s’il y a avait la moindre volonté de l’entretenir,
offre un petit havre de paix au milieu du chaos des souqs, avec sa cour intérieure,
ses palmiers et ses galeries en arcades. La ballade dans la vieille ville
continue, malheureusement la plupart des hamams, caravansérail et autres
madrasas sont fermées à la visite. Heureusement, la seule promenade dans les
rues sinueuses de la vieille ville offre un véritable dépaysement, dévoile les
charmes des souqs, de leurs odeurs et de leur vitalité. Enfin, retour à la
place Al-Tell, grande place de Tripoli manifestement construite à la belle
époque. Assez étrange de voir ces beaux immeubles à l’européennes après avoir
eu l’impression de retrouver l’orient mystérieux dans la vieille ville. Là, stigmates
de l’histoire oblige, je vois, au beau milieu des portraits géants de Saad
Hariri (Tripoli, bastion sunnite du Liban soutient assez naturellement le
premier ministre sunnite, selon l’accord du pacte national libanais, qui jouit d’une certaine légitimité étant le
fils de Rafiq Hariri, assassiné à Beyrouth en février 2005) de grands immeubles
criblés de balles alors que de charmants tanks et autres véhicules militaires
aux airs tout à fait pacifiques (heum, heum) font le pied de garde.
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Stigmates ... |
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Effets de la spéculation immobilière sur la corniche beyrouthine |
Cette
impression n’est rien à côté de ce que l’ont peut voir à Beyrouth. En effet, le
lendemain, après avoir passé la veille à aller voir Harry Potter au cinéma
(sortie au Liban avant la sortie européenne !) et à profiter de l’incomparable
vie nocturne beyrouthine, me voilà avec Margaux à l’attaque de Beyrouth.
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Déguisée en saoudienne |
Première étape
à la place des Martyrs et à la mosquée Al-Amin. La place des martyrs est LA
place de Beyrouth. Elle se nomme ainsi pour commémorer les victimes d’une
révolte libanaise ayant eu lieu à la fin de la Première Guerre Mondiale alors
que l’Empire Ottoman, l’Homme malade de l’Europe, terminait d’agoniser. Cette
place a une importance assez forte dans la cohésion nationale, puisqu’elle est
un des rares endroits au Liban où le système confessionnel tellement décrié
mais toujours conservé n’a pas la première place. Que vient faire sur cette
place la mosquée Al Amin me direz vous. C’est très simple. Depuis l’indépendance,
un projet de construction d’une grande mosquée à Beyrouth pour continuer le
réseau de grandes mosquées déjà existant au Moyen-Orient était envisagé. La
guerre civile de 1975 à 1990 l’a mis entre parenthèse, et, plusieurs éléments
plaidaient en sa défaveur : une mosquée d’une telle envergure risquait de
créer des tensions sur un lieu assez exceptionnel au Liban puisque laïc,
conflits avec la cathédrale maronite avoisinante sur ses proportions
gigantesques, incohérence du projet architectural puisque l’extérieur est de
style ottoman, l’intérieur d’inspiration mamelouke, etc, etc, etc. La première
pierre est posée par Rafiq Hariri en 2003 et c’est justement ce dernier qui va
faire le consensus autour. Il est assassiné le 14 février 2005, enterré juste à
côté de la mosquée encore en plein chantier, si bien qu’elle en devient plus le
mémorial de l’ancien Premier ministre assassiné qu’un lieu de culte brillant
par son gigantisme.
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Déluge de couleurs à l'intérieur |
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Le tombeau de Rafiq Hariri |
Son
gigantisme, parlons-en. Après avoir revêtu s'être déguisées avec des abayas saoudiennes (cette grande
tunique noire) et des voiles pour couvrir nos cheveux, nous voilà projetées
dans une reconstitution moderne des Mille et Une Nuits. Tout brille, les
couleurs chatoient, les immenses lustres en cristal occupent les espaces immenses
laissés par les coupoles et, fait assez rare pour être souligné, cette mosquée
est réellement un endroit… silencieux. Après être sorties de l’édifice (et
revêtu des habits plus humains au vu des températures), petit tour sur la tombe
de Rafiq Hariri (comme vous pouvez le voir, la culture voulant que l’on affiche
le portrait du chef trouve ici une belle illustration) et des sept autres
personnes décédées dans l’attentat, puis séance observation de la statue de la
place, célèbre pour ses personnages manchots et criblés de balles.
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La place des Martyrs |
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Campus avec parc et vue sur la mer |
Puis, petit
tour à l’American University of Beirut. Quand on voit à quoi ressemble ce
campus, on comprend mieux l’état de la recherche américaine : grand
immeubles cosys en style néogothique, parc arboré, complexe sportif avec vue
sur la mer, plage privée réservée aux étudiants… Bref, moi aussi je veux bien
passer mon doctorat si c’est pour vivre dans un 5 étoiles ! Ensuite, nous
sautons dans un taxi pour nous rendre à Raoucheh, la grotte des pigeons, grotte
qui, en dehors de son contexte beyrouthin, vous fait étonnement penser aux
falaises normandes dévorées par le temps, l’érosion et les vagues. De là, belle
vue sur le coucher du soleil sur la mer, assises sur la terrasse du « Bay
Rock », un des nombreux clubs beyrouthins qui contribuent à ce que la
ville ait la réputation de « Paris du Moyen-Orient ».
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Dernier coucher de soleil sur le Liban |
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Tourist Picture |
En dehors des
aspects touristiques de cette expédition, le Liban, et surtout Beyrouth, donne
une toute autre vision de ce qu’il est vraiment pour peu qu’on y prête
attention. Sous des abords de ville européenne, Beyrouth est vraiment le
stigmate vivant des innombrables années de guerre que e Liban a connu. C’est
surtout une ville de contraste : je n’ai jamais vu une telle concentration
de Jaguar au kilomètre carré, pourtant, il suffit de peu de temps en taxi pour
se retrouver du quartier des enseignes de luxe à un quartier populaire, où de
nombreux impacts de balles sont là pour rappeler les moments sombres que
Beyrouth a vécu. Ce qui est le plus impressionnant, c’est le spectacle de
chantier perpétuel que la ville offre en permanence. Vous pouvez y voir côte à
côte un immeuble décharné et criblé de balle, avec pour voisin un haut
building, fruit de l’incroyable spéculation immobilière dont Beyrouth fait l’objet
depuis l’effort de reconstruction. Il est surtout étrange de se retrouver dans
une ville au centre de tant de tensions. En effet, même aujourd’hui, le
contexte politique libanais reste tendu, largement à cause du verdict du
Tribunal Spécial pour le Liban, chargé d’enquêter sur l’assassinat de Rafiq Hariri,
qui n’en finit pas de tomber. Se promener dans Beyrouth c’est croiser des gens
passer de bons moments ensemble dans l’insouciance la plus totale, en se disant
que ces mêmes personnes seront peut-être, dans un avenir plus ou moins proche,
au centre d’un contexte violent et d’événements sanglants.
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La place des martyrs, entre vestiges du passé et modernisation |
L'armée est partout, il est d’ailleurs étonnant qu’une armée si
omniprésence se révèle si inefficace depuis toujours… Outre les contrastes
entre Orient et Occident que Beyrouth révèle, le plus impressionnant pour une
occidentale comme moi qui n’a jamais connu directement la guerre est d’évoluer
dans des endroits où pour le coup, les sermons larmoyants sur les bienfaits de
la paix, de l’amour et d’autres valeurs que certains s’amusent à rendre
dégoulinantes de bonnes intentions, prennent un tout autre sens. Dans un pays
qui n’a quasiment jamais connu de répit, imaginez donc ce que la perspective d’un
contexte politique stable et d’une paix durable représente, quand on ne sait
jamais ce que le mois prochain réserve…