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lundi 6 décembre 2010

Vivre à Damas, mode d’emploi - La vieille ville



Le Palais Azem, trésor de la vieille ville
Vivre à Damas, mode d’emploi… Comment commencer ? En effet, la liste est longue, parfois compliquée, parfois amusante. Vivre à Damas c’est, outre ne pas avoir peur du dépaysement, se plonger dans une ville qui n’en finit jamais de vivre. Aussi loin que remontent mes souvenirs sur ladite ville, mes premières impressions m’avaient fait l’effet d’un flot ininterrompu de voiture (mais aussi d’attelage à cheval circulant comme si de rien n’était sur la voie rapide 4x4 voies…), d’un tourbillon humain continu, d’un souq qui ne fermait jamais. Et ces impressions sont restées. On ne s’y ennuie jamais car, bien que la nuit nocturne telle qu’on peut trouver en Europe ou à Beyrouth ne soit pas si active à Damas que la jeune génération ne le voudrait, il y a toujours quelque chose à faire, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de la vieille ville.

Au hasard du souq des épices


On aime le style kitsh et pailleté...
Commençons par la vieille ville d’ailleurs. C’est toujours par cette partie de la ville que les nouveaux venus commencent. Si ce n’est la rue droite, reste déblayé par les ottomans du decumanus de la ville romaine, et le souq Hamidiyyeh, également tracé à la règle par les turcs lassés du plan anarchique du souq médiéval, la vieille ville correspond à peu près à l’idée qu’un orientaliste pourrait se faire d’une ville au levant. Rues sinueuses, parfois juste assez étroites pour s’y glisser, toujours des recoins qui échappent au brouhaha incessant des souqs, avec à Damas un certain charme qui s’en dégage puisque le centre historique a été assez peu restauré. On peut donc vraiment se faire une idée de ce qu’est l’orient, loin des images de cartes postales et des clichés, souvent faux, que l’on a avant de partir. La vieille ville est un véritable coffre au trésor. L’aspect de certaines rues paraît souvent peu engageant, pourtant il suffit souvent de savoir où pousser la bonne porte et de découvrir de véritables merveilles. La ville regorge en effet de multiples palais et caravansérail, et ceux qui ont été restaurés gardent leur cachet d’autant. Il n’y a plus qu’à fermer les yeux et l’on s’imagine alors immédiatement ce que pouvait être la vie d’autrefois. Outre les combinaisons innombrables de ballades que l’on peut faire à Damas – se perdre est en effet facile, mais rien de grave car il est tout aussi facile de retrouver son chemin – outre tous les petits culs-de-sac (les syriens ont osé, ils orthographient sans broncher ce mot « cu-de-saq ») et les petits passages qui mènent souvent à des petits coins de paradis insoupçonnés, la vieille ville regorge de restaurants absolument fantastiques. A des prix défiant toute concurrence, vous pouvez vous offrir de véritables festins dans un décor de rêve. En effet, les anciens palais de différentes époques, désertés par les familles damascènes au début du XX° siècle car inconfortables et trop froids l’hiver, ont pour la plupart été restaurés et transformés en restaurants ou hôtels. On ne paye pas le décor, et pourtant… La plupart installent leurs tables dans la cour intérieure, souvent dotée en son centre d’une fontaine ornée d’arabesques, et l’on mange ainsi dans le cœur de la maison, au milieu des ornements muraux qui ont fait la célébrité de Damas, avec un service impeccable et des serveurs adorables (enfin pour la plupart). Mon restaurant favori est le Khiwali, un palais récemment restauré qui date du XIV° siècle. Le boulanger iraquien fabrique sur place son pain iraquien (le meilleur qui soit à mon goût), la musique n’y est pas trop forte (et Dieu sait que c’est appréciable et rare dans le patelin !) et avec un peu de chance en été, on peut y dîner sur le toit, avec toute la vue sur Damas, le Mont Quassioun et la Grande Mosquée des Omeyyades.

Les restaurants damascènes... Luxe, calme et volupté !





Glané à la Grande Mosquée...

La vieille ville, c’est évidemment le vieux souq ! Le vieux souqs et son ordonnancement bien particulier, quoiqu’aujourd’hui un peu troublé par l’apparition des boutiques à touristes. Comme je l’ai déjà mentionné, ce qu’on vend au souq diffère selon la distance par rapport à la mosquée et la pureté des produits. Dans le souq on y trouve pour tous les goûts. Le souq des « locaux », à savoir le Souq Hamidiyyeh qui jouxte la grande mosquée des omeyyades et dont l’entrée n’est rien d’autre que le prolypée du temple de Jupiter, rien que ça ! On y trouve de tout, pour les femmes ont trouvera surtout de quoi agrémenter abayas, niqab, hijab et autres vêtements hyper glamour, mais également des sous-vêtements à faire rougir d’embarras les étrangères occidentales et décadentes que nous sommes. C’est là que se trouve Bakdash, LE glacier de Damas. Il est à l’image de la ville, « victime » du flot incessant de monde qui se presse à ses portes (et surtout à ses cornets). La boutique est immense et rythme sa journée au son des employés qui battent la crème glacée et les pistaches. L’équipe est impressionnante, on voit aller et venir une légion de serveur, slalomant entre les clients affamés, maîtrisant parfaitement leurs plateaux remplis des précieuses coupelles. La prestation la plus connue de Bakdash, c’est en effet sa crème glacée aux pistaches pilées, un régal pour les sens. Une montagne de crème glacée, qui n’en finit pas de s’enrouler autour de la cuiller tant elle est élastique, ses pistaches fraichement pilée… Un véritable bonheur pour tout gourmand qui se respecte ! On peut également de perdre dans le souq des orfèvres, au détour duquel on tombe sur le palais Azem, le souq de la soie mais surtout, ma partie préférée, la rue Qaimariyyeh.


Crème glacé au Bakdash

boutiques du souq
La rue Qaimariyehh relie Bab Touma, le quartier chrétien au quartier de la grande mosquée. Cette rue a l’avantage d’être touristique, mais trop quand même. Je m’explique : on y trouve à peu près tout ce qu’un touriste pourrait rechercher pour des prix tout à fait convenables. J’y ai maintenant mes adresses, et surtout les vendeurs qui m’invitent régulièrement à prendre le thé et avec qui je me chamaille gentiment lorsqu’il faut négocier le prix, l’un et l’autre sachant pertinemment l’issue de la transaction. On y trouve de tout : écharpes en soie, pashmina qui font le bonheur des filles, parfumerie, bijoutier, coutelier, cordonnier… Ma boutique préférée restant celle vendant les photos du Président, les autocollants du Président, les magnets du Président (elle ne vend toujours pas la chanson, mais ça ne saurait tarder) !! Le tout dans une étroite rue pavée, où les murs ont été envahis par les plantes grimpantes. On trouve également dans les environs nombre de boutiques vendant les jus de fruits pressés, les gaufres au chocolat ou encore les chawarmas, célèbre fast-food levantin bien meilleur que les kebab hors de prix qu’on vous vend en Europe.



Belle maison à Bab Sharqi
La vieille ville reflète également, certes pas totalement, le rythme de la vie d’ici. Comme à Bab Touma, le jour de la Sainte Barbe que les chrétiens célèbrent en grande pompe et comme répétition générale de Noël, rapport aux repas pantagruéliques que tout le monde prépare se jour-là. Le quartier chrétien s’est couvert le temps d’une journée de décorations multicolores et les pâtisseries vendaient les spécialités propres à cette fête. Se promener autour de la Grande Moquée, comme je l’ai fait, le jour de l’Aïd el-Kbir, est un véritable loisir. Il suffit de s’asseoir quelque part et de contempler le spectacle des gens, le tout temporisé par la fréquence des prières, le chant des muezzins. Ce jour-là, tous les vendeurs ambulants on fait le déplacement : bonbons, friandises, maïs chaud, Pop corn, jus de fruit, tout y était. Et pas la peine d’acheter car les gens viendront spontanément vous proposer quelque chose. Les femmes surtout. Et oui ! On m’avait souvent charriée sur le décalage que pouvait créer ma couleur de cheveux en Syrie. 




Certes, parfois c’est pesant, mais avec les femmes, particulièrement les musulmanes, c’est très utile. En effet, les musulmanes sont souvent plus effacées que les hommes en public, mais je crée toujours la surprise avec elles à cause de mes cheveux. Pour elles, les cheveux sont une part d’intimité puisqu’elles ne les montrent jamais en public. Ainsi, lorsqu’elles passent, particulièrement au Hamam, dix minutes à examiner mes cheveux, me poser plein de questions sur comment je les entretiens, les coiffe, etc. c’est une part d’intimité que je partage avec elles. Ceci dit au hamam, c’est toute leur intimité que les femmes livrent. La première fois que j’y suis allée, une femme quasiment dénudée nous avait longuement tapé la causette, femme qui une fois sortie du sauna, s’est rhabillée pour affronter la rue en remettant son niqab, ce fameux voile que nous avons interdit en France. 


La grande mosquée vue de l'esplanade


Le Hamam, outre le cadre pittoresque et orientaliste qu’il offre est un lieu où les différences et les préjugés s’effacent, puisque dans cet univers de femme, ces femmes partagent tout en se détachant de l’apparence que les constructions sociales d’ici les forcent à adapter. Il est d’ailleurs amusant d’y retourner en maîtrisant mieux la langue : en écoutant, on se rend compte à quel point les hamams sont des lieux sociaux : on y parle potins, secrets beautés (pour ne pas dire d’autres secrets, heum heum…), on y cherche parfois la femme pour un fils. C’est d’ailleurs ce qui m’est arrivé la première fois que j’y suis allée : après m’avoir observée sous tous les angles, une vieille dame s’est approchée de moi en me demandant si, par hasard, je ne voulais pas épouser son fils… Sortir du hamam, c’est aussi se sentir totalement réparée, grâce au peeling, à la pédicure et au massage que vous font des grosses femmes qui ont manifestement un peu trop tapé sur les loukoums…



Bref, il faut y vivre pour se faire à cette vieille ville. Damas a cette particularité, qu’elle partage sans doutes avec d’autres villes d’Orient, qu’il faut aller à sa rencontre, oser pousser les portes, oser se perdre, accepter de se perdre pour finalement la connaître et devenir intime avec elle.