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lundi 6 décembre 2010

Vivre à Damas, mode d’emploi - La vieille ville



Le Palais Azem, trésor de la vieille ville
Vivre à Damas, mode d’emploi… Comment commencer ? En effet, la liste est longue, parfois compliquée, parfois amusante. Vivre à Damas c’est, outre ne pas avoir peur du dépaysement, se plonger dans une ville qui n’en finit jamais de vivre. Aussi loin que remontent mes souvenirs sur ladite ville, mes premières impressions m’avaient fait l’effet d’un flot ininterrompu de voiture (mais aussi d’attelage à cheval circulant comme si de rien n’était sur la voie rapide 4x4 voies…), d’un tourbillon humain continu, d’un souq qui ne fermait jamais. Et ces impressions sont restées. On ne s’y ennuie jamais car, bien que la nuit nocturne telle qu’on peut trouver en Europe ou à Beyrouth ne soit pas si active à Damas que la jeune génération ne le voudrait, il y a toujours quelque chose à faire, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de la vieille ville.

Au hasard du souq des épices


On aime le style kitsh et pailleté...
Commençons par la vieille ville d’ailleurs. C’est toujours par cette partie de la ville que les nouveaux venus commencent. Si ce n’est la rue droite, reste déblayé par les ottomans du decumanus de la ville romaine, et le souq Hamidiyyeh, également tracé à la règle par les turcs lassés du plan anarchique du souq médiéval, la vieille ville correspond à peu près à l’idée qu’un orientaliste pourrait se faire d’une ville au levant. Rues sinueuses, parfois juste assez étroites pour s’y glisser, toujours des recoins qui échappent au brouhaha incessant des souqs, avec à Damas un certain charme qui s’en dégage puisque le centre historique a été assez peu restauré. On peut donc vraiment se faire une idée de ce qu’est l’orient, loin des images de cartes postales et des clichés, souvent faux, que l’on a avant de partir. La vieille ville est un véritable coffre au trésor. L’aspect de certaines rues paraît souvent peu engageant, pourtant il suffit souvent de savoir où pousser la bonne porte et de découvrir de véritables merveilles. La ville regorge en effet de multiples palais et caravansérail, et ceux qui ont été restaurés gardent leur cachet d’autant. Il n’y a plus qu’à fermer les yeux et l’on s’imagine alors immédiatement ce que pouvait être la vie d’autrefois. Outre les combinaisons innombrables de ballades que l’on peut faire à Damas – se perdre est en effet facile, mais rien de grave car il est tout aussi facile de retrouver son chemin – outre tous les petits culs-de-sac (les syriens ont osé, ils orthographient sans broncher ce mot « cu-de-saq ») et les petits passages qui mènent souvent à des petits coins de paradis insoupçonnés, la vieille ville regorge de restaurants absolument fantastiques. A des prix défiant toute concurrence, vous pouvez vous offrir de véritables festins dans un décor de rêve. En effet, les anciens palais de différentes époques, désertés par les familles damascènes au début du XX° siècle car inconfortables et trop froids l’hiver, ont pour la plupart été restaurés et transformés en restaurants ou hôtels. On ne paye pas le décor, et pourtant… La plupart installent leurs tables dans la cour intérieure, souvent dotée en son centre d’une fontaine ornée d’arabesques, et l’on mange ainsi dans le cœur de la maison, au milieu des ornements muraux qui ont fait la célébrité de Damas, avec un service impeccable et des serveurs adorables (enfin pour la plupart). Mon restaurant favori est le Khiwali, un palais récemment restauré qui date du XIV° siècle. Le boulanger iraquien fabrique sur place son pain iraquien (le meilleur qui soit à mon goût), la musique n’y est pas trop forte (et Dieu sait que c’est appréciable et rare dans le patelin !) et avec un peu de chance en été, on peut y dîner sur le toit, avec toute la vue sur Damas, le Mont Quassioun et la Grande Mosquée des Omeyyades.

Les restaurants damascènes... Luxe, calme et volupté !





Glané à la Grande Mosquée...

La vieille ville, c’est évidemment le vieux souq ! Le vieux souqs et son ordonnancement bien particulier, quoiqu’aujourd’hui un peu troublé par l’apparition des boutiques à touristes. Comme je l’ai déjà mentionné, ce qu’on vend au souq diffère selon la distance par rapport à la mosquée et la pureté des produits. Dans le souq on y trouve pour tous les goûts. Le souq des « locaux », à savoir le Souq Hamidiyyeh qui jouxte la grande mosquée des omeyyades et dont l’entrée n’est rien d’autre que le prolypée du temple de Jupiter, rien que ça ! On y trouve de tout, pour les femmes ont trouvera surtout de quoi agrémenter abayas, niqab, hijab et autres vêtements hyper glamour, mais également des sous-vêtements à faire rougir d’embarras les étrangères occidentales et décadentes que nous sommes. C’est là que se trouve Bakdash, LE glacier de Damas. Il est à l’image de la ville, « victime » du flot incessant de monde qui se presse à ses portes (et surtout à ses cornets). La boutique est immense et rythme sa journée au son des employés qui battent la crème glacée et les pistaches. L’équipe est impressionnante, on voit aller et venir une légion de serveur, slalomant entre les clients affamés, maîtrisant parfaitement leurs plateaux remplis des précieuses coupelles. La prestation la plus connue de Bakdash, c’est en effet sa crème glacée aux pistaches pilées, un régal pour les sens. Une montagne de crème glacée, qui n’en finit pas de s’enrouler autour de la cuiller tant elle est élastique, ses pistaches fraichement pilée… Un véritable bonheur pour tout gourmand qui se respecte ! On peut également de perdre dans le souq des orfèvres, au détour duquel on tombe sur le palais Azem, le souq de la soie mais surtout, ma partie préférée, la rue Qaimariyyeh.


Crème glacé au Bakdash

boutiques du souq
La rue Qaimariyehh relie Bab Touma, le quartier chrétien au quartier de la grande mosquée. Cette rue a l’avantage d’être touristique, mais trop quand même. Je m’explique : on y trouve à peu près tout ce qu’un touriste pourrait rechercher pour des prix tout à fait convenables. J’y ai maintenant mes adresses, et surtout les vendeurs qui m’invitent régulièrement à prendre le thé et avec qui je me chamaille gentiment lorsqu’il faut négocier le prix, l’un et l’autre sachant pertinemment l’issue de la transaction. On y trouve de tout : écharpes en soie, pashmina qui font le bonheur des filles, parfumerie, bijoutier, coutelier, cordonnier… Ma boutique préférée restant celle vendant les photos du Président, les autocollants du Président, les magnets du Président (elle ne vend toujours pas la chanson, mais ça ne saurait tarder) !! Le tout dans une étroite rue pavée, où les murs ont été envahis par les plantes grimpantes. On trouve également dans les environs nombre de boutiques vendant les jus de fruits pressés, les gaufres au chocolat ou encore les chawarmas, célèbre fast-food levantin bien meilleur que les kebab hors de prix qu’on vous vend en Europe.



Belle maison à Bab Sharqi
La vieille ville reflète également, certes pas totalement, le rythme de la vie d’ici. Comme à Bab Touma, le jour de la Sainte Barbe que les chrétiens célèbrent en grande pompe et comme répétition générale de Noël, rapport aux repas pantagruéliques que tout le monde prépare se jour-là. Le quartier chrétien s’est couvert le temps d’une journée de décorations multicolores et les pâtisseries vendaient les spécialités propres à cette fête. Se promener autour de la Grande Moquée, comme je l’ai fait, le jour de l’Aïd el-Kbir, est un véritable loisir. Il suffit de s’asseoir quelque part et de contempler le spectacle des gens, le tout temporisé par la fréquence des prières, le chant des muezzins. Ce jour-là, tous les vendeurs ambulants on fait le déplacement : bonbons, friandises, maïs chaud, Pop corn, jus de fruit, tout y était. Et pas la peine d’acheter car les gens viendront spontanément vous proposer quelque chose. Les femmes surtout. Et oui ! On m’avait souvent charriée sur le décalage que pouvait créer ma couleur de cheveux en Syrie. 




Certes, parfois c’est pesant, mais avec les femmes, particulièrement les musulmanes, c’est très utile. En effet, les musulmanes sont souvent plus effacées que les hommes en public, mais je crée toujours la surprise avec elles à cause de mes cheveux. Pour elles, les cheveux sont une part d’intimité puisqu’elles ne les montrent jamais en public. Ainsi, lorsqu’elles passent, particulièrement au Hamam, dix minutes à examiner mes cheveux, me poser plein de questions sur comment je les entretiens, les coiffe, etc. c’est une part d’intimité que je partage avec elles. Ceci dit au hamam, c’est toute leur intimité que les femmes livrent. La première fois que j’y suis allée, une femme quasiment dénudée nous avait longuement tapé la causette, femme qui une fois sortie du sauna, s’est rhabillée pour affronter la rue en remettant son niqab, ce fameux voile que nous avons interdit en France. 


La grande mosquée vue de l'esplanade


Le Hamam, outre le cadre pittoresque et orientaliste qu’il offre est un lieu où les différences et les préjugés s’effacent, puisque dans cet univers de femme, ces femmes partagent tout en se détachant de l’apparence que les constructions sociales d’ici les forcent à adapter. Il est d’ailleurs amusant d’y retourner en maîtrisant mieux la langue : en écoutant, on se rend compte à quel point les hamams sont des lieux sociaux : on y parle potins, secrets beautés (pour ne pas dire d’autres secrets, heum heum…), on y cherche parfois la femme pour un fils. C’est d’ailleurs ce qui m’est arrivé la première fois que j’y suis allée : après m’avoir observée sous tous les angles, une vieille dame s’est approchée de moi en me demandant si, par hasard, je ne voulais pas épouser son fils… Sortir du hamam, c’est aussi se sentir totalement réparée, grâce au peeling, à la pédicure et au massage que vous font des grosses femmes qui ont manifestement un peu trop tapé sur les loukoums…



Bref, il faut y vivre pour se faire à cette vieille ville. Damas a cette particularité, qu’elle partage sans doutes avec d’autres villes d’Orient, qu’il faut aller à sa rencontre, oser pousser les portes, oser se perdre, accepter de se perdre pour finalement la connaître et devenir intime avec elle.

mercredi 24 novembre 2010

Plongée en Occident via le Pays du Cèdre


Le Palais Azem, havre de paix au beau milieu du Souq


A peine rentré de Jordanie, voilà que des amis de Sciences Po en troisième année à Beyrouth faisaient un petit tour en Syrie. Sitôt arrivés à Damas, je les rejoins pour leur servir de guide. Au programme : grande mosquée des Omeyyades, flâner dans les souqs, se repaître de mets orientaux dans les incomparables restaurants damascènes, visite du palais Azem. Au passage, voici quelques photos du Palais Azem. Je n’en avais jamais publiée pour la simple et bonne raison que lors de ma première visite, mon appareil photo n’avait plus de batterie. Le palais Azem est le plus grand des palais damascènes. Il était la résidence des gouverneurs Azem de Damas à l’époque de l’empire ottoman, au XVIII° siècle. C’est un véritable écrin de paix au beau milieu du fracas des souqs, avec en son cœur une belle cour et un jardin absolument paradisiaque. Il est intéressant puisqu’il répond aux codes alors en vigueur à l’époque, à savoir séparer lieux privés et lieux publics, et montre cette séparation de manière bien nette.

Evasion dans le Souq des épices


N’ayant pas grand-chose à faire de plus à Damas, je m’en suis allée à Beyrouth en même temps que mes amis qui rentraient chez eux. Direction Beyrouth, dans le quartier de Furn el-Chebbak, chez Mélissa, une amie de Sciences Po qui était dans la même classe que moi en 1ère année, et Margaux, une étudiante du Master Journalisme de Sciences Po en année de césure. Seulement 1h30 d’attente à la frontière, ce qui est plutôt pas mal dans la mesure où nous avions pris un bus plein, avant de plonger dans la vallée de la Bekaa que j’ai déjà évoquée ici.

Vue sur le site archéologique


Le lendemain, cap sur Byblos. Ah, Byblos ! Pour ceux qui auraient au fond d’eux une passion secrète pour l’égyptologie, Byblos est le lieu où la légende dit que la déesse Isis alla chercher les restes d’Osiris, lâchement assassiné puis découpé en morceaux (charmante époque…) par son frère, le très jaloux Seth pour ne pas le nommer. De fait, beaucoup de restes égyptiens ont été retrouvés à Byblos, mais ils ne sont pas les plus anciens puisque les plus anciennes traces d’habitat datent du cinquième millénaire avant JC. Comme souvent dans les sites archéologiques levantins, les civilisations se sont succédées : phéniciens, égyptiens, amorites, hyksos, grecs, assyriens, babyloniens, romains, byzantins, arabes, croisés, turcs… En se baladant sur le site on peut voir les restes antiques : temples divers et variés, nécropole, théâtre romain avec vue sur la mer, restes de maisons, mais surtout le château croisé construit par les francs durant les croisades, qui donne un bel aperçu sur le site, la mer et les environs, malheureusement aujourd’hui envahies par l’urbanisation libanaise galopante (vive la loi littorale !!).

L'Eglise Saint Jean-Baptiste à Byblos

La citadelle croisée
Byblos possède également une vieille ville médiévale qui a vraiment été très bien restaurée. Certains aiment bien toiser Byblos en disant que c’est une ville trop touristique et refaite à la manière Disney Land, mais disons-le, ça fait quand même du bien de voir enfin dans la région une ville ancienne bien refaite, propre et sans rien qui dépasse. Ce qui est agréable aussi (mais qui doit moins l’être durant l’été vues les chaleurs qu’il y fait) c’est cette proximité avec la mer. Le site prend alors une toute autre dimension et l’on peut se laisser aller à admirer la vue pour un temps indéfini, le regard perdu sur cette mer dont la ligne d’horizon se perd dans l’azur du ciel. Byblos, c’est aussi un petit port de pêche, hanté dans ses heures de gloire par un certain Pépé le Pirate qui y a ouvert un club connu au Liban, mais aussi orné d’une espèce de redoute à l’entrée.

Sur la citadelle de Byblos



Puis retour à Beyrouth. Le chauffeur, trop content de voir une touriste qui baragouine sa langue m’offre le voyage, puis je m’en retourne retrouver mes amis pour une soirée passée sur un « top roof » donnant une très belle vue sur tout Beyrouth. Les «top roof », parlons en. Au Moyen-Orient, ils sont assez populaires, car dans ces immeubles récents qui ne sont pas conçus pour les grosses chaleurs qu’il y fait, et peu équipés de climatiseurs puisque cela coûte cher, le top roof est seul endroit où le soir, on peut vaguement profiter de l’air frais de la nuit, vraiment reposant après avoir passé la journée entière à ne penser qu’à une seule chose, la chaleur. C’est vraiment très agréable comme point de vue, aussi avons-nous passé la soirée à refaire le monde (pas des sciences-pistes pour rien !), à comparer nos deux pays d’accueil, mes amis me faisant part de certaines de leurs craintes quant à la situation au Liban qui peut dégénérer à tout moment.

La citadelle de Tripoli en plein chantier
Chaleureux comité d'accueil à la citadelle...

Le lendemain, direction Tripoli ! Après deux heures de trajets en bus où un officier de l’armée libanaise m’a tenu le crachoir, trop content de parler français avec une française après avoir fait un séjour à Rochefort pendant la guerre civile, me voilà arrivée à Tripoli. Rien qu’à l’évocation de ce nom, je vois déjà l’air rêveur de ceux de mes lecteurs à la sensibilité orientaliste. Là aussi, Tripoli a vu se succéder les civilisations, des Phéniciens aux croisés en passant bien sûrs par les romains et les grecs. Sitôt arrivée, me voilà lancé à l’assaut de la citadelle, dont les travaux commencés par Raymond de Saint-Gilles au début du XII° siècle furent achevés au XIV° par un émir arabe. La citadelle ressemble vraiment à un champ de bataille. Il ne faut pas y voir là un mauvais jeu de mots en rapport avec le fait que l’armée libanaise y a élu domicile (on appréciera d’ailleurs le charme de l’accueil chaleureux réservé par les tanks et autres camions peints façon camouflage à l’entrée), mais surtout le fait que la citadelle est encore en cours de restauration. De là, une belle vue sur la ville, assez vallonnée et un petit aperçu sur la mer, juste ce qu’il faut pour encore sentir son bon air iodé.

Cour intérieure du Khan as-Saboun


Etagères pleines de savon
Puis, redescente dans la vieille ville, où l’apparent désordre des souqs révèle en réalité une hiérarchie bien précise : en effet, chaque partie du souq est spécialisée, dans les tissus, l’orfèvrerie et autres produits rappelant l’époque révolue des grandes caravanes parcourant autrefois la route de la soie. Là, petit passage au Khan As-Saboun (le caravansérail du savon). Ineptie tripolitaine ? Que nenni ! En effet, une vieille querelle existe entre Alep et Tripoli pour savoir quelle ville aura la paternité du fameux savon. Outre ce malentendu, le khan as-saboun, malgré un état de conservation qui pourrait être amélioré s’il y a avait la moindre volonté de l’entretenir, offre un petit havre de paix au milieu du chaos des souqs, avec sa cour intérieure, ses palmiers et ses galeries en arcades. La ballade dans la vieille ville continue, malheureusement la plupart des hamams, caravansérail et autres madrasas sont fermées à la visite. Heureusement, la seule promenade dans les rues sinueuses de la vieille ville offre un véritable dépaysement, dévoile les charmes des souqs, de leurs odeurs et de leur vitalité. Enfin, retour à la place Al-Tell, grande place de Tripoli manifestement construite à la belle époque. Assez étrange de voir ces beaux immeubles à l’européennes après avoir eu l’impression de retrouver l’orient mystérieux dans la vieille ville. Là, stigmates de l’histoire oblige, je vois, au beau milieu des portraits géants de Saad Hariri (Tripoli, bastion sunnite du Liban soutient assez naturellement le premier ministre sunnite, selon l’accord du pacte national libanais,  qui jouit d’une certaine légitimité étant le fils de Rafiq Hariri, assassiné à Beyrouth en février 2005) de grands immeubles criblés de balles alors que de charmants tanks et autres véhicules militaires aux airs tout à fait pacifiques (heum, heum) font le pied de garde.

Stigmates ...




Effets de la spéculation immobilière sur la corniche beyrouthine






Cette impression n’est rien à côté de ce que l’ont peut voir à Beyrouth. En effet, le lendemain, après avoir passé la veille à aller voir Harry Potter au cinéma (sortie au Liban avant la sortie européenne !) et à profiter de l’incomparable vie nocturne beyrouthine, me voilà avec Margaux à l’attaque de Beyrouth.





Déguisée en saoudienne
Première étape à la place des Martyrs et à la mosquée Al-Amin. La place des martyrs est LA place de Beyrouth. Elle se nomme ainsi pour commémorer les victimes d’une révolte libanaise ayant eu lieu à la fin de la Première Guerre Mondiale alors que l’Empire Ottoman, l’Homme malade de l’Europe, terminait d’agoniser. Cette place a une importance assez forte dans la cohésion nationale, puisqu’elle est un des rares endroits au Liban où le système confessionnel tellement décrié mais toujours conservé n’a pas la première place. Que vient faire sur cette place la mosquée Al Amin me direz vous. C’est très simple. Depuis l’indépendance, un projet de construction d’une grande mosquée à Beyrouth pour continuer le réseau de grandes mosquées déjà existant au Moyen-Orient était envisagé. La guerre civile de 1975 à 1990 l’a mis entre parenthèse, et, plusieurs éléments plaidaient en sa défaveur : une mosquée d’une telle envergure risquait de créer des tensions sur un lieu assez exceptionnel au Liban puisque laïc, conflits avec la cathédrale maronite avoisinante sur ses proportions gigantesques, incohérence du projet architectural puisque l’extérieur est de style ottoman, l’intérieur d’inspiration mamelouke, etc, etc, etc. La première pierre est posée par Rafiq Hariri en 2003 et c’est justement ce dernier qui va faire le consensus autour. Il est assassiné le 14 février 2005, enterré juste à côté de la mosquée encore en plein chantier, si bien qu’elle en devient plus le mémorial de l’ancien Premier ministre assassiné qu’un lieu de culte brillant par son gigantisme.


Déluge de couleurs à l'intérieur

Le tombeau de Rafiq Hariri
Son gigantisme, parlons-en. Après avoir revêtu s'être déguisées avec des abayas saoudiennes (cette grande tunique noire) et des voiles pour couvrir nos cheveux, nous voilà projetées dans une reconstitution moderne des Mille et Une Nuits. Tout brille, les couleurs chatoient, les immenses lustres en cristal occupent les espaces immenses laissés par les coupoles et, fait assez rare pour être souligné, cette mosquée est réellement un endroit… silencieux. Après être sorties de l’édifice (et revêtu des habits plus humains au vu des températures), petit tour sur la tombe de Rafiq Hariri (comme vous pouvez le voir, la culture voulant que l’on affiche le portrait du chef trouve ici une belle illustration) et des sept autres personnes décédées dans l’attentat, puis séance observation de la statue de la place, célèbre pour ses personnages manchots et criblés de balles.

La place des Martyrs


Campus avec parc et vue sur la mer
Puis, petit tour à l’American University of Beirut. Quand on voit à quoi ressemble ce campus, on comprend mieux l’état de la recherche américaine : grand immeubles cosys en style néogothique, parc arboré, complexe sportif avec vue sur la mer, plage privée réservée aux étudiants… Bref, moi aussi je veux bien passer mon doctorat si c’est pour vivre dans un 5 étoiles ! Ensuite, nous sautons dans un taxi pour nous rendre à Raoucheh, la grotte des pigeons, grotte qui, en dehors de son contexte beyrouthin, vous fait étonnement penser aux falaises normandes dévorées par le temps, l’érosion et les vagues. De là, belle vue sur le coucher du soleil sur la mer, assises sur la terrasse du « Bay Rock », un des nombreux clubs beyrouthins qui contribuent à ce que la ville ait la réputation de « Paris du Moyen-Orient ».

Dernier coucher de soleil sur le Liban

Tourist Picture
En dehors des aspects touristiques de cette expédition, le Liban, et surtout Beyrouth, donne une toute autre vision de ce qu’il est vraiment pour peu qu’on y prête attention. Sous des abords de ville européenne, Beyrouth est vraiment le stigmate vivant des innombrables années de guerre que e Liban a connu. C’est surtout une ville de contraste : je n’ai jamais vu une telle concentration de Jaguar au kilomètre carré, pourtant, il suffit de peu de temps en taxi pour se retrouver du quartier des enseignes de luxe à un quartier populaire, où de nombreux impacts de balles sont là pour rappeler les moments sombres que Beyrouth a vécu. Ce qui est le plus impressionnant, c’est le spectacle de chantier perpétuel que la ville offre en permanence. Vous pouvez y voir côte à côte un immeuble décharné et criblé de balle, avec pour voisin un haut building, fruit de l’incroyable spéculation immobilière dont Beyrouth fait l’objet depuis l’effort de reconstruction. Il est surtout étrange de se retrouver dans une ville au centre de tant de tensions. En effet, même aujourd’hui, le contexte politique libanais reste tendu, largement à cause du verdict du Tribunal Spécial pour le Liban, chargé d’enquêter sur l’assassinat de Rafiq Hariri, qui n’en finit pas de tomber. Se promener dans Beyrouth c’est croiser des gens passer de bons moments ensemble dans l’insouciance la plus totale, en se disant que ces mêmes personnes seront peut-être, dans un avenir plus ou moins proche, au centre d’un contexte violent et d’événements sanglants. 

La place des martyrs, entre vestiges du passé et modernisation


L'armée est partout, il est d’ailleurs étonnant qu’une armée si omniprésence se révèle si inefficace depuis toujours… Outre les contrastes entre Orient et Occident que Beyrouth révèle, le plus impressionnant pour une occidentale comme moi qui n’a jamais connu directement la guerre est d’évoluer dans des endroits où pour le coup, les sermons larmoyants sur les bienfaits de la paix, de l’amour et d’autres valeurs que certains s’amusent à rendre dégoulinantes de bonnes intentions, prennent un tout autre sens. Dans un pays qui n’a quasiment jamais connu de répit, imaginez donc ce que la perspective d’un contexte politique stable et d’une paix durable représente, quand on ne sait jamais ce que le mois prochain réserve…



dimanche 14 novembre 2010

Voyage hors du temps en Jordanie (suite et fin)


     
Sieste pour les chameaux

    L’expérience humaine rencontrée au Wadi Rum fut globalement assez semblable que celle vécue à Petra. En effet, la plupart des prestations touristiques dans le Sud de la Jordanie sont assurées par des bédouins. Départ tôt le matin pour prendre le bus jusqu’au Wadi Rum, avec pour chauffeur un bédouin de Petra parlant trois mots d’anglais et me demandant par conséquent de faire office d’interprète. Puis arrivée au Wadi Rum, nous ne payons pas l’entrée parce que c’est vendredi et que je ne sais pas pour quelle obscure raison, on ne peut pas imprimer les billets le vendredi. Bref, toujours est-il que le bus nous emmène au village bédouin (le gouvernement jordanien a en effet regroupé il y a environ 20 ans les bédouins dans des villages fixes autour des grands sites touristiques), juste devant la maison d’un guide qui a négocié une sorte de partenariat avec l’hôtel où j’étais à Petra pour organiser des excursions toutes faites aux clients.


     Pour les incultes, le Wadi Rum, outre le cadre géologique exceptionnel qu’il offre, c’est ça :

Aaaaaaah ! Lawrence d'Arabie !!

  
    Soit le lieu de tournage de Lawrence d’Arabie, chef d’œuvre du septième art avec Peter O’Toole et le bel Omar Sharif et réalisé par David Lean en 1962, récompensé par 7 Oscars bien mérités. Soit l’histoire, inspirée du livre « Les sept piliers de la sagesse », de l’épopée du Prince Faysal contre les turcs pendant la première Guerre Mondiale qui se finira finalement par la défaite du royaume de Damas avec la bataille de Maysaloun en 1920. Histoire encore d'actualité pour le monde arabe puisqu'elle marque l'échec de l'Union Arabe au début du XX° siècle, mais surtout histoire à donner l'envie à tout orientaliste qui se respecte de traverser des hivers glaçants et des déserts brûlants (les cinéphiles reconnaîtrons la référence) pour aller voir tout ça en vrai.

Sur les dunes de sables rouges


Le fameux thé des bédouins dont je suis
absolument fan !
     Me voilà donc partie avec sept autres touristes à la découverte du Wadi Rum, à bord d’une jeep tenant par l'opération du Saint-Esprit et lancée à toute vitesse sur les pistes de sable rouge. Vue sur la source de Lawrence, les « peintures rupestres » (ce sont surtout des sculptures, mais l’ignorante que je suis ne connait pas le terme adapté), la maison de Lawrence (qui a en réalité plusieurs siècles), le pont de Lawrence, les sept piliers de la sagesse (nommés ainsi en 1980 en l’honneur de Lawrence et de sa fameuse autobiographie), de grandes dunes. Certes, le film « Lawrence d’Arabie » a été tourné là-bas, mais T.E. Lawrence, le vrai cette fois-ci, a réellement parcouru les environs et basé certaines de ses troupes dans le Wadi Rum.







     Outre le fait que le Wadi Rum est vraiment un site naturel exceptionnel à tout point de vue, que ce soient les paysages, les fantaisies des évolutions géologiques ou les variations de couleur du sable, il offre surtout quelque chose de particulièrement rare au Proche Orient : le silence !!! Pause déjeuné dans le recoin d’une falaise puis, après s’être baladés l’après midi, arrivée au campement pour voir le coucher du soleil. L’absence de toute pollution dans le désert rend absolument époustouflant le spectacle du coucher ou du lever du soleil, quelques soient les conditions. Le désert prend alors une toute autre forme : les lumières propres à ce stade de la journée rencontrent les roches ocre des alentours, créant de somptueux effets d’ombre et de lumière et donnant au spectateur l’impression que le désert tout entier se prépare résigné à la nuit. D’autres touristes se sont joints à nous, dont une ribambelle de français insupportables qui habitent Aman, emportant avec eux la ribambelle de clichés propres aux français en vacances (jamais contents, plutôt incultes, assez snobs et surtout très imprudents). Dîner sous la tente de bédouins puis soirée sous le ciel étoilé.

Dur dur de faire la sieste avec un tel panorama


     



















Jeux avec ce sable magnifique !

Pont naturel
















Désert éternel au coucher du soleil




J’ai là vécu un moment d’anthologie. J’avais déjà fait l’expérience que parler arabe donne une toute autre expérience du Proche-Orient et une toute autre expérience avec les gens, puisque parler l’arabe (avec l’accent local en prime) ne vous place pas comme un touriste lambda et instaure une relation de confiance inconditionnelle, surtout avec les bédouins. J’ai fait toute la journée la jalousie des autres personnes avec qui j’étais, puisque là où eux payaient tout (c'est-à-dire souvenirs et tasse de thé), on m’offrait tout. Mais je crois que le meilleur moment fut celui-ci. En effet, le guide me glisse l’air de rien, le plus naturellement du monde, toujours en arabe et devant tout le monde :





-« Tu bois de l’alcool ?
-  Chez les chrétiens, ça pose pas de problèmes…
- Non mais est-ce que toi tu bois de l’alcool ?
- Oh oui, le vin c’est quand même un des piliers de la culture française…
- Très bien, attends un peu, mais avec les autres [bédouins] on a apporté tout ce qu’il faut, donc si tu veux, joins-toi à nous. 
- Mais normalement, c’est pas interdit ??
- Si, mais la nuit ça compte pas…»
     Bon ben si ça compte pas la nuit alors …

C’est ainsi que j’ai passé la soirée, seule au milieu des bédouins, laissant les autres touristes dans les tentes, à apprendre l’astronomie arabe autour d’un feu, d’un verre d’arak (une sorte de pastis arabe à base de réglisse), d’un narguilé parfumé à la rose et d’un thé qui aurait eu l’air tout à fait halal si trois gouttes de vodka n’avaient pas été malencontreusement versées dedans…

   

La maison de Lawrence



La nuit passée, je me réveille au lever du soleil pour repartir à Damas. On peut avoir beaucoup de préjugés sur les arabes, notamment sur les relations hommes-femmes, mais toujours est-il qu’avec un peu de chance, on peut toujours tomber sur des gens tout à fait adorables et sans aucune arrière pensée. Les arabes ont certes une certaines habilité à exprimer tous leurs sentiments de façon assez théâtrale, mais en réalité, en tentant de nouer contact avec eux, il s’avère qu’ils savent peu cacher leurs intentions et sont tout à fait intègres. On distingue assez vite ceux qui malheureusement ont des arrières pensées peu recommandables, tout comme on sait assez vite qui sera honnête et accueillant. Par exemple ce tunisien dans le bus Petra-Aman, tout content de pouvoir enfin parler français avec un vrai français, ou les quatre autres personnes avec lesquelles j’étais dans le taxi Aman-Damas, qui n’avaient jamais rencontré de blondes aux yeux bleus arabisante de leur vie et très curieux de savoir quels étaient les vrais us et coutumes occidentaux, au-delà d’une image parfois peu acceptable aux yeux de la culture arabe. Le tout, avec un sens de l'hospitalité que je n'ai jamais vu ailleurs. Ainsi, me voilà rentrée le soir à Damas, l’esprit rempli de belles images et enthousiaste face à toutes ces belles rencontres, bien décidée à ne pas laisser telle quelle l’expérience jordanienne !


PS : Etienne, si tu me lis, je n'ai trouvé aucune trace de tes lunettes de soleil que tu as perdues au même endroit il y a trois ans...