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mercredi 24 novembre 2010

Plongée en Occident via le Pays du Cèdre


Le Palais Azem, havre de paix au beau milieu du Souq


A peine rentré de Jordanie, voilà que des amis de Sciences Po en troisième année à Beyrouth faisaient un petit tour en Syrie. Sitôt arrivés à Damas, je les rejoins pour leur servir de guide. Au programme : grande mosquée des Omeyyades, flâner dans les souqs, se repaître de mets orientaux dans les incomparables restaurants damascènes, visite du palais Azem. Au passage, voici quelques photos du Palais Azem. Je n’en avais jamais publiée pour la simple et bonne raison que lors de ma première visite, mon appareil photo n’avait plus de batterie. Le palais Azem est le plus grand des palais damascènes. Il était la résidence des gouverneurs Azem de Damas à l’époque de l’empire ottoman, au XVIII° siècle. C’est un véritable écrin de paix au beau milieu du fracas des souqs, avec en son cœur une belle cour et un jardin absolument paradisiaque. Il est intéressant puisqu’il répond aux codes alors en vigueur à l’époque, à savoir séparer lieux privés et lieux publics, et montre cette séparation de manière bien nette.

Evasion dans le Souq des épices


N’ayant pas grand-chose à faire de plus à Damas, je m’en suis allée à Beyrouth en même temps que mes amis qui rentraient chez eux. Direction Beyrouth, dans le quartier de Furn el-Chebbak, chez Mélissa, une amie de Sciences Po qui était dans la même classe que moi en 1ère année, et Margaux, une étudiante du Master Journalisme de Sciences Po en année de césure. Seulement 1h30 d’attente à la frontière, ce qui est plutôt pas mal dans la mesure où nous avions pris un bus plein, avant de plonger dans la vallée de la Bekaa que j’ai déjà évoquée ici.

Vue sur le site archéologique


Le lendemain, cap sur Byblos. Ah, Byblos ! Pour ceux qui auraient au fond d’eux une passion secrète pour l’égyptologie, Byblos est le lieu où la légende dit que la déesse Isis alla chercher les restes d’Osiris, lâchement assassiné puis découpé en morceaux (charmante époque…) par son frère, le très jaloux Seth pour ne pas le nommer. De fait, beaucoup de restes égyptiens ont été retrouvés à Byblos, mais ils ne sont pas les plus anciens puisque les plus anciennes traces d’habitat datent du cinquième millénaire avant JC. Comme souvent dans les sites archéologiques levantins, les civilisations se sont succédées : phéniciens, égyptiens, amorites, hyksos, grecs, assyriens, babyloniens, romains, byzantins, arabes, croisés, turcs… En se baladant sur le site on peut voir les restes antiques : temples divers et variés, nécropole, théâtre romain avec vue sur la mer, restes de maisons, mais surtout le château croisé construit par les francs durant les croisades, qui donne un bel aperçu sur le site, la mer et les environs, malheureusement aujourd’hui envahies par l’urbanisation libanaise galopante (vive la loi littorale !!).

L'Eglise Saint Jean-Baptiste à Byblos

La citadelle croisée
Byblos possède également une vieille ville médiévale qui a vraiment été très bien restaurée. Certains aiment bien toiser Byblos en disant que c’est une ville trop touristique et refaite à la manière Disney Land, mais disons-le, ça fait quand même du bien de voir enfin dans la région une ville ancienne bien refaite, propre et sans rien qui dépasse. Ce qui est agréable aussi (mais qui doit moins l’être durant l’été vues les chaleurs qu’il y fait) c’est cette proximité avec la mer. Le site prend alors une toute autre dimension et l’on peut se laisser aller à admirer la vue pour un temps indéfini, le regard perdu sur cette mer dont la ligne d’horizon se perd dans l’azur du ciel. Byblos, c’est aussi un petit port de pêche, hanté dans ses heures de gloire par un certain Pépé le Pirate qui y a ouvert un club connu au Liban, mais aussi orné d’une espèce de redoute à l’entrée.

Sur la citadelle de Byblos



Puis retour à Beyrouth. Le chauffeur, trop content de voir une touriste qui baragouine sa langue m’offre le voyage, puis je m’en retourne retrouver mes amis pour une soirée passée sur un « top roof » donnant une très belle vue sur tout Beyrouth. Les «top roof », parlons en. Au Moyen-Orient, ils sont assez populaires, car dans ces immeubles récents qui ne sont pas conçus pour les grosses chaleurs qu’il y fait, et peu équipés de climatiseurs puisque cela coûte cher, le top roof est seul endroit où le soir, on peut vaguement profiter de l’air frais de la nuit, vraiment reposant après avoir passé la journée entière à ne penser qu’à une seule chose, la chaleur. C’est vraiment très agréable comme point de vue, aussi avons-nous passé la soirée à refaire le monde (pas des sciences-pistes pour rien !), à comparer nos deux pays d’accueil, mes amis me faisant part de certaines de leurs craintes quant à la situation au Liban qui peut dégénérer à tout moment.

La citadelle de Tripoli en plein chantier
Chaleureux comité d'accueil à la citadelle...

Le lendemain, direction Tripoli ! Après deux heures de trajets en bus où un officier de l’armée libanaise m’a tenu le crachoir, trop content de parler français avec une française après avoir fait un séjour à Rochefort pendant la guerre civile, me voilà arrivée à Tripoli. Rien qu’à l’évocation de ce nom, je vois déjà l’air rêveur de ceux de mes lecteurs à la sensibilité orientaliste. Là aussi, Tripoli a vu se succéder les civilisations, des Phéniciens aux croisés en passant bien sûrs par les romains et les grecs. Sitôt arrivée, me voilà lancé à l’assaut de la citadelle, dont les travaux commencés par Raymond de Saint-Gilles au début du XII° siècle furent achevés au XIV° par un émir arabe. La citadelle ressemble vraiment à un champ de bataille. Il ne faut pas y voir là un mauvais jeu de mots en rapport avec le fait que l’armée libanaise y a élu domicile (on appréciera d’ailleurs le charme de l’accueil chaleureux réservé par les tanks et autres camions peints façon camouflage à l’entrée), mais surtout le fait que la citadelle est encore en cours de restauration. De là, une belle vue sur la ville, assez vallonnée et un petit aperçu sur la mer, juste ce qu’il faut pour encore sentir son bon air iodé.

Cour intérieure du Khan as-Saboun


Etagères pleines de savon
Puis, redescente dans la vieille ville, où l’apparent désordre des souqs révèle en réalité une hiérarchie bien précise : en effet, chaque partie du souq est spécialisée, dans les tissus, l’orfèvrerie et autres produits rappelant l’époque révolue des grandes caravanes parcourant autrefois la route de la soie. Là, petit passage au Khan As-Saboun (le caravansérail du savon). Ineptie tripolitaine ? Que nenni ! En effet, une vieille querelle existe entre Alep et Tripoli pour savoir quelle ville aura la paternité du fameux savon. Outre ce malentendu, le khan as-saboun, malgré un état de conservation qui pourrait être amélioré s’il y a avait la moindre volonté de l’entretenir, offre un petit havre de paix au milieu du chaos des souqs, avec sa cour intérieure, ses palmiers et ses galeries en arcades. La ballade dans la vieille ville continue, malheureusement la plupart des hamams, caravansérail et autres madrasas sont fermées à la visite. Heureusement, la seule promenade dans les rues sinueuses de la vieille ville offre un véritable dépaysement, dévoile les charmes des souqs, de leurs odeurs et de leur vitalité. Enfin, retour à la place Al-Tell, grande place de Tripoli manifestement construite à la belle époque. Assez étrange de voir ces beaux immeubles à l’européennes après avoir eu l’impression de retrouver l’orient mystérieux dans la vieille ville. Là, stigmates de l’histoire oblige, je vois, au beau milieu des portraits géants de Saad Hariri (Tripoli, bastion sunnite du Liban soutient assez naturellement le premier ministre sunnite, selon l’accord du pacte national libanais,  qui jouit d’une certaine légitimité étant le fils de Rafiq Hariri, assassiné à Beyrouth en février 2005) de grands immeubles criblés de balles alors que de charmants tanks et autres véhicules militaires aux airs tout à fait pacifiques (heum, heum) font le pied de garde.

Stigmates ...




Effets de la spéculation immobilière sur la corniche beyrouthine






Cette impression n’est rien à côté de ce que l’ont peut voir à Beyrouth. En effet, le lendemain, après avoir passé la veille à aller voir Harry Potter au cinéma (sortie au Liban avant la sortie européenne !) et à profiter de l’incomparable vie nocturne beyrouthine, me voilà avec Margaux à l’attaque de Beyrouth.





Déguisée en saoudienne
Première étape à la place des Martyrs et à la mosquée Al-Amin. La place des martyrs est LA place de Beyrouth. Elle se nomme ainsi pour commémorer les victimes d’une révolte libanaise ayant eu lieu à la fin de la Première Guerre Mondiale alors que l’Empire Ottoman, l’Homme malade de l’Europe, terminait d’agoniser. Cette place a une importance assez forte dans la cohésion nationale, puisqu’elle est un des rares endroits au Liban où le système confessionnel tellement décrié mais toujours conservé n’a pas la première place. Que vient faire sur cette place la mosquée Al Amin me direz vous. C’est très simple. Depuis l’indépendance, un projet de construction d’une grande mosquée à Beyrouth pour continuer le réseau de grandes mosquées déjà existant au Moyen-Orient était envisagé. La guerre civile de 1975 à 1990 l’a mis entre parenthèse, et, plusieurs éléments plaidaient en sa défaveur : une mosquée d’une telle envergure risquait de créer des tensions sur un lieu assez exceptionnel au Liban puisque laïc, conflits avec la cathédrale maronite avoisinante sur ses proportions gigantesques, incohérence du projet architectural puisque l’extérieur est de style ottoman, l’intérieur d’inspiration mamelouke, etc, etc, etc. La première pierre est posée par Rafiq Hariri en 2003 et c’est justement ce dernier qui va faire le consensus autour. Il est assassiné le 14 février 2005, enterré juste à côté de la mosquée encore en plein chantier, si bien qu’elle en devient plus le mémorial de l’ancien Premier ministre assassiné qu’un lieu de culte brillant par son gigantisme.


Déluge de couleurs à l'intérieur

Le tombeau de Rafiq Hariri
Son gigantisme, parlons-en. Après avoir revêtu s'être déguisées avec des abayas saoudiennes (cette grande tunique noire) et des voiles pour couvrir nos cheveux, nous voilà projetées dans une reconstitution moderne des Mille et Une Nuits. Tout brille, les couleurs chatoient, les immenses lustres en cristal occupent les espaces immenses laissés par les coupoles et, fait assez rare pour être souligné, cette mosquée est réellement un endroit… silencieux. Après être sorties de l’édifice (et revêtu des habits plus humains au vu des températures), petit tour sur la tombe de Rafiq Hariri (comme vous pouvez le voir, la culture voulant que l’on affiche le portrait du chef trouve ici une belle illustration) et des sept autres personnes décédées dans l’attentat, puis séance observation de la statue de la place, célèbre pour ses personnages manchots et criblés de balles.

La place des Martyrs


Campus avec parc et vue sur la mer
Puis, petit tour à l’American University of Beirut. Quand on voit à quoi ressemble ce campus, on comprend mieux l’état de la recherche américaine : grand immeubles cosys en style néogothique, parc arboré, complexe sportif avec vue sur la mer, plage privée réservée aux étudiants… Bref, moi aussi je veux bien passer mon doctorat si c’est pour vivre dans un 5 étoiles ! Ensuite, nous sautons dans un taxi pour nous rendre à Raoucheh, la grotte des pigeons, grotte qui, en dehors de son contexte beyrouthin, vous fait étonnement penser aux falaises normandes dévorées par le temps, l’érosion et les vagues. De là, belle vue sur le coucher du soleil sur la mer, assises sur la terrasse du « Bay Rock », un des nombreux clubs beyrouthins qui contribuent à ce que la ville ait la réputation de « Paris du Moyen-Orient ».

Dernier coucher de soleil sur le Liban

Tourist Picture
En dehors des aspects touristiques de cette expédition, le Liban, et surtout Beyrouth, donne une toute autre vision de ce qu’il est vraiment pour peu qu’on y prête attention. Sous des abords de ville européenne, Beyrouth est vraiment le stigmate vivant des innombrables années de guerre que e Liban a connu. C’est surtout une ville de contraste : je n’ai jamais vu une telle concentration de Jaguar au kilomètre carré, pourtant, il suffit de peu de temps en taxi pour se retrouver du quartier des enseignes de luxe à un quartier populaire, où de nombreux impacts de balles sont là pour rappeler les moments sombres que Beyrouth a vécu. Ce qui est le plus impressionnant, c’est le spectacle de chantier perpétuel que la ville offre en permanence. Vous pouvez y voir côte à côte un immeuble décharné et criblé de balle, avec pour voisin un haut building, fruit de l’incroyable spéculation immobilière dont Beyrouth fait l’objet depuis l’effort de reconstruction. Il est surtout étrange de se retrouver dans une ville au centre de tant de tensions. En effet, même aujourd’hui, le contexte politique libanais reste tendu, largement à cause du verdict du Tribunal Spécial pour le Liban, chargé d’enquêter sur l’assassinat de Rafiq Hariri, qui n’en finit pas de tomber. Se promener dans Beyrouth c’est croiser des gens passer de bons moments ensemble dans l’insouciance la plus totale, en se disant que ces mêmes personnes seront peut-être, dans un avenir plus ou moins proche, au centre d’un contexte violent et d’événements sanglants. 

La place des martyrs, entre vestiges du passé et modernisation


L'armée est partout, il est d’ailleurs étonnant qu’une armée si omniprésence se révèle si inefficace depuis toujours… Outre les contrastes entre Orient et Occident que Beyrouth révèle, le plus impressionnant pour une occidentale comme moi qui n’a jamais connu directement la guerre est d’évoluer dans des endroits où pour le coup, les sermons larmoyants sur les bienfaits de la paix, de l’amour et d’autres valeurs que certains s’amusent à rendre dégoulinantes de bonnes intentions, prennent un tout autre sens. Dans un pays qui n’a quasiment jamais connu de répit, imaginez donc ce que la perspective d’un contexte politique stable et d’une paix durable représente, quand on ne sait jamais ce que le mois prochain réserve…



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