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samedi 5 février 2011

Vivre à Damas, mode d'emploi - La ville moderne




Après avoir décrit la vieille ville (j’espère à propos ne pas m’être perdue dans les détails ou dans une description un peu trop lyrique), attaquons nous à la ville moderne. Et oui, si les touristes connaissent surtout la vieille ville, cette dernière ne doit constituer qu’à peu près 3% de la totalité de la ville.

Au premier abord, avant d’arriver à Damas, en touriste averti, vous vous pencherez forcément sur un guide qui vous dira en présentation que Damas était décrite par les poètes arabes anciens comme un « grain de beauté sur la joue du monde »… Bon, le grain de beauté a dû dégénérer en mélanome… En effet, il y a encore 50 ans, la ville se limitait à la vieille ville et à quelques quartiers voisins commencés par les turcs et continués par les français. On pouvait encore nettement distinguer la Ghouta, cette oasis qui enserrait Damas et qui en avait fait la renommée par sa production de fruits confits, et qui avait surtout ébloui les arabes lorsqu’ils sont arrivés, eux qui globalement n’étaient pas spécialement habitués à la verdure dans les déserts de la Péninsule arabique.

Seulement depuis, l’effet combiné de la pression démographique (la population syrienne a en effet quadruplé, si ce n’est quintuplé depuis 100 ans) et de l’exode rural a pas mal changé l’aspect général de la ville, et pas pour le meilleur. En effet, depuis 40 ans, des milliers d’immeubles de béton ont poussé, qui n’ont jamais été entretenus (et les infrastructures liées aussi, à savoir réseau d’eau, d’électricité, égouts, et j’en passe) et qui ont été ingénieusement crépis dans les tons marrons foncés, gris foncés ou rouge Bordeaux, histoire de ne surtout pas  leur donner un air de barre d’immeubles communistes à la joyeuse et fructueuse époque des démocraties populaires. C’est vraiment dommage car un petit effort et ça pourrait avoir un tout autre aspect : par exemple à Aman, les immeubles ont globalement la même architecture, mais crépis en jaune clair, dans une ville vallonnée et arborisée, et ça donne quand même une atmosphère totalement différente.

Mais disons que la partie moderne de Damas est à l’image de ses quartiers anciens : il ne faut jamais, grand Dieu, jamais se fier à la première apparence. Déjà, cette ville grouille de vie. Les gens ne tiennent jamais en place, et se mélangent à un mouvement permanent de flux de voitures, de bruits de klaxon, des vendeurs ambulants, de taxis voulant arnaquer leur passager (une bonne tête d’occidental n’est pas absolument nécessaire mais y contribue fortement).

Parlons des taxis d’ailleurs, le grand traumatisme de tout étranger fraichement arrivé. La première fois que j’ai pris un taxi, je voulais aller à l’ambassade de France. Arrivée à destination, je lis 65 livres sur le compteur (si si, il y a un compteur !) et donne naïvement 90 livres, me sentant des impulsions généreuses en offrant gracieusement 25 livres de pourboire (ils n’hésitent d’ailleurs que rarement à vous demander le bakhshish). Le taximan s’est mis à hurler, à taper sur le volant, en vociférant des phrases que je ne comprenais pas alors. Il voulait… 200 livres. Sauf que 200 livres ici, c’est largement assez pour se rendre en banlieue, largement assez pour acheter un litre de bière, acheter 5 Kebab ou un billet de bus jusqu’à Palmyre. Mais maintenant, pratique de la langue et vie quotidienne avec des syriens oblige, se disputer avec des taxis devient presque un jeu. Lorsqu’ils veulent vous arnaquer, ils indiquent souvent deux fois le prix que le compteur indique et c’est là que les choses sérieuses commencent. La cliente offusquée que je suis se met à hausser un peu le ton, le contenu de la discussion n'étant qu'une part d'une espèce de jeu, où chacun sait l'intérêt qu'il a à défendre et devine vers où s'oriente la fin des négociations.

L'arabe est en effet une langue vraiment riche et emprunte d'une grande théâtralité. On s'en rend compte particulièrement lorsque, au contact des syriens, on nous apprend des effets de langue, comme les insultes. Ils n’ont pas (du moins en Syrie mais je sais que c’est différent au Liban) d’insultes vraiment vulgaires comme on a en français. La première que tout étranger apprend est : Anta Kelb Ibn Kelb, soit littéralement tu es chien fils de chien. Ensuite on peut se diversifier et là ça devient vraiment amusant. Là où un français dirait un vulgaire « va crever », les syriens diront « Que Allah découpe ton âge ». Pour envoyer quelqu’un au diable, vous ne lui direz pas « va au diable » mais un magnifique « Que Allah te précipite dans les feux de l’Enfer ». Enfin bref, je ne connais certainement pas les plus drôles, mais on dirait étrangement qu’ils aiment bien mêler Allah à toutes leurs disputes. En fait, on ne s’énerve vraiment que rarement, les envolées lyriques n’étant qu’une part de la théâtralité de rigueur lorsque l’on parle arabe. Car si cette langue a mauvaise réputation en Europe à cause de ses sons gutturaux, c’est en la pratiquant qu’on prend conscience de toute sa logique, de toute sa profondeur et de l’art de vivre qu’elle présuppose.

Si l’on veut s’éviter les désagréments des disputes avec les taximans (et ne pas payer trop cher, tout de même, 2€ pour traverser la ville en taxi, c’est franchement trop cher !) on peut toujours prendre un service, ces petits minibus, de grands bijoux de technologie souvent estampillés Hyundaï ou Toyota et où, selon la motivation du conducteur, on peut s’entasser selon un nombre variant de 11 à 16-18 (seulement dans les heures de pointe). Ils ont l’avantage d’être rapides et bon marché (de 5 à 10 livres la course), mais embarquer dans l’un d’eux signifie qu’on en maîtrise parfaitement l’itinéraire, sachant que certains aiment bien changer parfois, ou même, prendre des contresens pour raccourcir le trajet.

Sinon pour circuler on peut toujours prendre un bus. Les bus sont surprenants à plusieurs égards. Les gens payent leur trajet (toujours surprenant lorsqu’on voit en France les gens jouer à saute mouton sur les tourniquets du métro ou les contrôleurs faire grève parce que l’un de leurs confrères s’est fait tabasser), ils sont rarement bondés, rapport au fait qu’il y a beaucoup (ça change des horaires de bus à Montpellier ou avec un peu de chance, y’a un bus tous les trois quart d’heure les jours où il n’y a pas de grèves) et les hommes laissent leur place assise aux femmes. En effet, dans une société où l’on a souvent tendance à séparer les sexes, il n’est pas bon qu’une femme soit debout en presque corps à corps avec d’autres hommes qu’elle ne connait pas. Dans les parties debout, j’ai remarqué que les femmes étaient souvent regroupées, même si souvent les hommes leur cèdent la place. Mais attention avec la pratique, on reste rarement plus de deux minutes debout. C’est pareil dans les files d’attente, les femmes peuvent doubler tranquillement les hommes, personne ne leur dira rien. On peut donc souvent se faire ennuyer par des hommes un peu frustrés de la vie, il reste toujours qu’en tant que femme on attend rarement et qu’on voyage tout le temps assise.

Outre ces détails bassement matérialistes, Damas est étonnamment une ville de culture à l’image de la Syrie toute entière. La Syrie est un pays où les anciennes coutumes et traditions sont restées très marquées, mais la production culturelle est assez impressionnante, et même si les centres culturels étrangers ont leur part dans l’activité de la ville, les productions et événements syriens y ont une part non négligeable. En effet, tant que l’on n’aborde pas les sujets qui fâchent, les syriens sont très expansifs, bavards et créatifs.

 Ainsi, la production d’œuvre d’art est assez significative et d’ailleurs assez belle, la plupart des toiles restant asses figuratives et restant dans les tons locaux, à savoir de belles couleurs chaudes que nous envient les non-méditerranéens. La télé regorge de musalsal (séries télévisées) en dialecte, d’émissions culturelles et religieuses (j’ai eu un bel éclat de rire un jour en regardant la bande annonce d’une émission musulmane où la musique de fond n’était autre que l’Ave Verum de Mozart). L’opéra de Damas est très actif, donne dans l’oriental et le classique avec des prix défiant toute concurrence. J’ai trépigné au mois de décembre de ne pas avoir pu aller voir à l’opéra « Les noces de Figaro », toutes les places ayant été réservées. En même temps, à 1€50 le tarif étudiant, les gens auraient tord de se priver. De plus, la qualité des musiciens est assez bonne et la salle de concert est confortable et a une belle acoustique. Damas, c’est également un nombre impressionnant de festivals et d’expositions en tout genre, avec également beaucoup de conférences, la plupart du temps données en fusha (l’arabe littéral) souvent piraté par le dialecte. On peut également prendre des cours de calligraphie arabe, de danse orientale ou de langues pour trois rien, si tant est que l’on maîtrise un peu la langue.

Question vie nocturne, on ne s’y ennuie pas non plus. Ayant en horreur les boîtes de nuit, je ne me plains donc pas de leur nombre quasi proche de 0 ici, et la quantité impressionnante de bars cheap est un bon remède à ce « problème ». Halte aux préjugés, on y trouve de l’alcool, surtout dans les quartiers chrétiens où cela ne pose pas de problèmes. On pourra alors déguster de l’Arak, une espèce de pastis mais à la réglisse (ceux qui connaissent mon amour indéfectible du pastis sauront que je n’en bois pas conséquent pas beaucoup), les vins du Liban, syriens pour les plus courageux, ainsi que les bières locales, à savoir Al-Maza (libanaise) et la meilleure, Barada. La Barada c’est tout un concept : une bière qui ne fait pas de mousse, aussi alcoolisée qu’un cidre ayant tourné au soleil et dont l’étiquette se décolle de la bouteille avec la buée, rapport au fait que la colle doit pas être vraiment efficace.

On pourra aussi certaines soirées monter sur le Mont Quassioun, la montagne qui domine Damas, et dîner sur les restaurants qui bordent la route de la colline. A fréquenter de préférence en journée, les taxis y devenant chers le soir.

En bref, Damas est une ville qui s’apprécie sur le long terme. S’y débrouiller signifie de manière générale d’aller vers les gens, ne pas hésiter à pousser les portes et tenter des événements. On n’est jamais déçu. Pour se plaire à Damas, il faut en parler la langue et oublier nos codes et comportements que nous avons avant de partir. Le jeu en vaut la chandelle car l’expérience y est fantastique !

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