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samedi 12 mars 2011

Voyage au coeur du sac de noeuds


     L’endroit n’est pas si éloigné de Damas (50km), et pourtant si différent. Quand on y va, on y découvre la plaine, verte et irriguée par moult courts d’eau, dominée par les montagnes encore bien enneigées. Pourtant, même si la nature environnante est absolument charmante et change des rigueurs du désert qui se referme sur Damas, une autre idée vous turlupine en allant sur le plateau du Golan.

     Ah ! Le Golan ! On en parle souvent, sans souvent bien se rendre compte à quel point ces quelques milliers de kilomètres carrés sont déterminants. A l’origine, le plateau du Golan est un plateau montagneux, un temps peuplé de circassiens (qui eurent un temps des velléités séparatistes), puis de druzes et d’arabes, qui fut pastoral pour devenir peu à peu le point stratégique qu’il est aujourd’hui.


     Stratégique parce qu’il est tout simplement à la frontière du Liban, de la Syrie, de la Jordanie et d’Israël. Lors de l’indépendance syrienne, le Golan était entièrement sous domination syrienne, au grand damne des israéliens puisque celui-ci donne un panoramique imprenable sur le Sud-Liban et la Galilée, une des régions les plus peuplées en Israël. Aussi, jusqu’en 1967, il n’était pas rare que les syriens fassent de jolis cadeaux à leurs chers voisins, autrement dit bombardaient joyeusement ce qu’ils pouvaient. La carte ci-dessus vous donne une idée de l’emplacement géographique et des délimitations actuelles.

     Cette situation a duré jusqu’en 1967, pendant la guerre des Six Jours, où les israéliens envahissent le Golan en seulement deux jours, entraînant un exode massif de ses habitants. Depuis, seuls les druzes ont été autorisés à rester sur le Golan sous occupation (fallait bien dégager la piste pour les colons…). Des affrontements y ont régulièrement eu lieu jusqu’en 1974, date à laquelle, Quneitra, capitale du gouvernorat éponyme, est libérée et où un accord de dégagement est conclu, avec l’ONU censée faire respecter l’accord dans une zone dite de dégagement, c'est-à-dire une zone tampon complètement démilitarisée.  La carte ci-dessus vous donne une idée de l’emplacement géographique et des délimitations actuelles.

Quneitra est la grosse tâche gris dans la zone verte. On se rend mieux compte des enjeux géographiques
avec la carte. 


     Depuis, le Golan est devenu LA condition pour un accord de paix syro-israélien. Il faut y inclure des raisons de psychologie politique : le père du Président actuel était, en 1967, responsable militaire de la zone. Il est donc inimaginable que le gouvernement renonce à cette ère géographique. De plus, celui qui contrôle le Golan contrôle certes la Galilée, mais contrôle également la route de Damas, dont les faubourgs sont à à peine 35km. On peut y ajouter le fait que le plateau est un véritable château d’eau pour la région puisque c’est l’endroit le plus pluvieux, et qu’il donne directement sur les eaux du Lac de Tibériade.

     Depuis, les négociations sur le problème n’ont jamais abouties. L’argument principal côté ouest est de dire qu’il ne faut pas donner à l’est l’avantage sur la Galilée, craignant des attaques. Personnellement je n’ai jamais compris cet argument : en effet, si l’on restitue le Golan à la Syrie, ça veut dire qu’un accord de paix aura été préalablement signé. Or, on tente rarement d’envahir un pays lorsqu’on a décidé de signer la paix. Je prends le risque de paraître un peu trop simple d’esprit mais bon.

Un papier administratif qui a le mérite de ne pas avoir donné trop de mal à son détenteur
se doit d'être photographié


     En fait, c’est surtout la question d’eau qui est importante. La partie réclamée donne sur Tibériade, dont le lac constitue environ 35% des ressources hydrauliques israéliennes. Certains négociateurs ont même brandi la menace que les méchants syriens pourraient avoir l’idée d’empoisonner les eaux du lac histoire de tuer plein de gentils israéliens. D’où une proposition qui avait un jour émergé, à savoir la solution « Golan moins dix mètres ». Ca consistait en fait à restituer l’intégralité du Golan, sauf les dix mètres de bande terrestre le séparant du Lac de Tibériade (les négociateurs israéliens n’ont manifestement pas peur de prendre leurs interlocuteurs pour des pigeons).

     Bref, ne pouvant de toutes manières pas aller dans la partie occupée, il est néanmoins permis aux étrangers que nous sommes de visiter Quneitra, une ville assez importante avant 67. Il faut au préalable obtenir une autorisation, ce qui semble certes impressionnant mais qui est en fait assez facile, puisque les autorités veulent que les étrangers voient la ville.

L'église grecque-orthodoxe


     Pourquoi ? Parce que la ville a été sous contrôle israélien de 1967 à 1974. Je crois d’ailleurs que la perte de Quneitra en 67 est une des histoires de perte de ville la plus bête qui soit. En fait, l’armée syrienne protégeait le nord de la ville pour sauver la route de Damas. Ceci avec le concours de la radio qui par erreur avait annoncé que la ville était tombée. Du coup, l’armée, malgré la contre information diffusée deux heures trop tard, a battu en retraite vers Damas, laissant le champ libre aux israéliens.

     Israéliens qui sont restés jusqu’en 1974. Des témoins ont rapporté en 1967 que la ville, malgré la guerre qui y avait eu lieu, tenait encore debout. Pourtant, lorsque la ville a été incluse en 1974 dans la zone de dégagement, les syriens l’ont retrouvée totalement détruite. En fait, ce sont les israéliens qui ont systématiquement dynamité les habitations avant de libérer les lieux (ils ont ensuite accusé les syriens de l’avoir fait, puis quelques années plus tard, leur ont reproché de ne rien avoir reconstruit, bref mauvaise foie quand tu nous tiens…)

Maison éventrée


     Et de fait, en entrant dans la ville sous bonne garde (un agent du personnel syrien s’y rend avec vous pour éviter certains champs de mines et surtout de traverser une certaine frontière) c’est effectivement ce constat de dynamitage qui saute aux yeux, puisque la plupart des habitations semblent affaissées sur elles-mêmes, avec leurs toits en guise de couvercle.

L'intérieur de l'hôpital


     En réalité, la visite est vite faite, puisque de toutes manières la ville fantôme laissée par Israël en 1974 n’a jamais été reconstruite, car les autorités syriennes ont choisi de conserver ainsi en guise de témoignage de la guerre. La visite commence par l’hôpital, dont la carcasse tient encore debout, on peut même pénétrer à l’intérieur. En revanche, le tout est jonché de gravats, les murs criblés de balles, parfois même déchirés par un impact d’obus.

     On continue ensuite vers l’église grecque orthodoxe, qui comparée au standing local, paraît plutôt en bon état. La coupole tient toujours debout, et l’on voit distinctement les restes de l’iconostase, avec les emplacements de ce qui devait être les boiseries et icônes en tout genre. 

Le choeur


     Passée cette étape, on finit par longer en voiture un long chemin bordé de barbelées, pour arriver à check point aux drapeaux syriens, sagement gardé par l’ONU. De là, on est à la lisière ouest de la ville, totalement dominée par le plateau occupée. On aperçoit même sur le versant des habitations et des voitures « ennemies » circuler. Je ne sais pas si ce sont des possessions de l’ONU. Mais le plus impressionnant, c’est qu’à quelque pas de cet ultime check point, se trouve le check-point tampon de l’ONU et 50 mètres plus loin le poste de frontière … israélien. On y aperçoit nettement les drapeaux blancs et bleus flotter, et on s’approche tellement du pays que même les portables passent en réseau israélien (j’ai photographié le SMS de bienvenue car c’est vraiment trop collector).

Frontière vue du poste syrien


    














Oh! bizarres les drapeaux...




J’ai été accompagnée jusqu’à cette étape par un membre supplémentaire des autorités syriennes, histoire qu’ils vérifient que NON ! je ne traverserai pas. Bon en même temps j’aurais eu du mal, puisqu’ils avaient gardé mon passeport à l’entrée de la ville. Rassurez-vous, ils font ça avec tout le monde pour éviter justement que certains aient l’idée saugrenue de passer la frontière.

     Puis direction… le musée de Quneitra. Oui oui, il y a même un musée. Je m’attendais plutôt à un musée relatant de l’histoire récente, mais c’est parce que l’on oublie que l’histoire de Quneitra ne se limite pas à 1967. En fait, des vestiges romains ont été retrouvés dans le coin, puisque de toutes manières, la route de Damas n’a pas changé d’emplacement. Certains situent même la conversion de Saint Paul dans les alentours de Quneitra, ce qui collerait plutôt bien vu la distance avec Damas.

La rue principale vue de la mosquée


     En fait le musée est constitué d’une seule et même pièce, avec des vitrines à peine rangées et même pas traduites, qu’un druze (on reconnaît les druzes à la forme spécifique de leurs pantalons qui sont très bouffants) vous allume rien que pour vous. Puis, petit aperçu de la mosquée et de la rue principale, et retour à Damas.
Il est très étrange de faire une telle visite. La visite en elle-même n’a pas grand intérêt, car elle se résume à trois quart d’heures de voiture à aller regarder des immeubles en béton totalement écroulés. Elle est bien plus que de simples immeubles détruits. Il est en effet impressionnant de se retrouver dans un lieu aussi chargé d’Histoire, mais également de se trouver au centre de tous ce genre de tensions, aux limites de deux Etats ennemis qui s’obsèdent l’un l’autre, l’observent, s’espionnent mais s’ignorent royalement. Impressionnant de se retrouver si près d’un poste de frontière d’un pays qui, vu de Damas, semble tout simplement inatteignable, impressionnant de se retrouver dans une ville fantôme, faussement oubliée. 

Vue de la mosquée

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